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La Cour de cassation vient d’étendre le périmètre de compétence du CHSCT d’une société donneuse d’ordre aux sous-traitants de celle-ci.

La Cour de cassation vient d’ étendre  le périmètre de compétence du CHSCT d’une société donneuse d’ordre aux sous-traitants de celle-ci en estimant, le 7 décembre dernier, qu’il est compétent pour exercer ses prérogatives à l’égard de toute personne placée, à quelque titre que ce soit, sous l’autorité de l’employeur.

Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 7 décembre 2016, 15-16.769,

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :



Attendu, selon l’arrêt attaqué (Versailles, 17 février 2015), que la société de services en ingénierie informatique Euriware, aux droits de laquelle se trouve la société Cap Gemini France, exploite à Cherbourg une activité d’assistance téléphonique et technique destinée aux utilisateurs de matériels informatiques de la société Areva, dénommée « Help desk », cette activité étant essentiellement confiée, dans le cadre d’un contrat de prestation de services, à des salariés de la société Proservia ; qu’à la suite du dépôt d’un rapport d’expertise confié au cabinet Technologia et par acte du 21 janvier 2014, le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de l’établissement Ouest de la société Euriware a fait assigner les sociétés Euriware et Proservia devant le tribunal de grande instance, afin d’obtenir la suspension des objectifs fixés aux salariés du « help desk » en termes de taux de décroché, de résolution et d’intervention, ainsi que la modification des espaces de travail ;



Sur le premier moyen :



Attendu que la société Proservia fait grief à l’arrêt de déclarer l’action du CHSCT de l’établissement Ouest de la société Euriware recevable, alors, selon le moyen, qu’il résulte de l’article L. 4612-1 du code du travail que le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail a pour mission de contribuer à la protection de la santé physique et mentale et de la sécurité des travailleurs de l’établissement et de ceux mis à sa disposition par une entreprise extérieure ; que pour l’application des dispositions relative à la santé et à la sécurité des travailleurs, l’article L. 4111-5 du code du travail dispose que les travailleurs sont les salariés, y compris temporaires, et les stagiaires, ainsi que toute personne placée à quelque titre que ce soit sous l’autorité de l’employeur ; que n’entre pas dans la cadre de la mission du CHSCT la protection de la santé physique et mentale et de la sécurité des travailleurs d’une entreprise sous-traitante lorsque ces derniers ne sont pas placés sous l’autorité de la société donneuse d’ordre ; qu’en considérant que le CHSCT d’Euriware Ouest était recevable à agir à l’encontre de la société Proservia au motif qu’il appartenait au CHSCT d’Euriware Ouest d’exercer son rôle à l’égard de tous les salariés travaillant sur le site de la société Euriware sans même rechercher ainsi qu’elle y était invitée si les salariés de la société Proservia étaient placés sous l’autorité de la société Euriware, et s’il existait par conséquent, un lien de subordination des salariés de Proservia à l’égard de la société Euriware, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 4111-5 et L. 4612-1 du code du travail, ensemble les articles 31 et 122 du code de procédure civile ;



Mais attendu qu’il résulte des articles L. 4111-5, L. 4612-1, R. 4511-1 et R. 4511-5 du code du travail, interprétés à la lumière de la directive 89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989, concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail, que le CHSCT est compétent, pour exercer ses prérogatives, à l’égard de toute personne placée à quelque titre que ce soit sous l’autorité de l’employeur ;



Et attendu qu’ayant constaté que les objectifs à atteindre au sein du centre d’appels avaient été définis par la société Euriware et que les salariés de la société Proservia exerçaient largement sous le contrôle du personnel d’encadrement de la société Euriware présent sur le site, la cour d’appel en a exactement déduit que, les salariés de la société Proservia étant placés sous l’autorité tant de la société Euriware que de la société Proservia, le CHSCT de l’établissement Ouest de la société Euriware était recevable à agir à l’encontre de ces deux sociétés afin d’obtenir, au sein du site de Cherbourg relevant de son périmètre d’implantation, le respect de leurs obligations légales en matière de prévention des risques professionnels ;



D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;



Sur le second moyen :



Attendu que la société Proservia fait grief à l’arrêt de constater l’existence de risques graves d’atteinte à la sécurité et à la santé de ses salariés et de lui enjoindre de prendre toutes mesures propres à faire cesser la violation des obligations mises à sa charge par les dispositions légales, alors, selon le moyen :



1°/ qu’en vertu de l’article L. 4121-1 du code du travail, l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ; que ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels et la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés ; qu’il veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte des changements de circonstances ; qu’en vertu de l’article L. 4121-2 du code du travail, l’employeur met en oeuvre les mesures prévues à l’article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention en particulier, éviter les risques, combattre les risques à la source, adapter le travail à l’homme et planifier la prévention ; qu’en vertu de l’article L. 4121-3 du code du travail, l’employeur, compte tenu de la nature des activités, évalue les risques pour la santé et la sécurité, y compris notamment dans la définition des postes de travail et, à la suite de cette évaluation, met en oeuvre les actions de prévention ; qu’il en résulte que, dans le cadre de l’obligation de prévention, il appartient à l’employeur d’identifier les risques pour la santé et la sécurité induits par l’organisation du travail ; qu’il ne peut être reproché à l’entreprise extérieure de ne pas s’être renseignée plus avant sur les risques psycho-sociaux susceptibles de se présenter notamment en ce qui concernent les objectifs à atteindre au sein de l’entreprise donneuse d’ordre, dès lors que cette dernière n’avait pas elle-même identifié ce risque ; qu’en reprochant à la société Proservia d’avoir méconnu les obligations issues des articles L. 4121-1 et L. 4122-1 du code du travail quand elle avait constaté, d’une part, que la société Euriware n’avait pas méconnu son obligation d’évaluation des risques puisqu’elle ne s’était pas opposée aux expertises sollicitées par le CHSCT et que, d’autre part, la société Euriware considérait elle-même qu’il n’existait aucun risque concernant les objectifs qu’elle avait fixés, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles L. 4121-1 et L. 4121-1 du code du travail ;



2°/ que l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ; qu’en énonçant que le premier facteur de risque découlait de l’organisation générale du centre d’appels qui consistait à apporter une réponse immédiate aux demandes de traitement des utilisateurs des matériels informatiques du groupe Areva avec un encadrement strict du taux de réponse apporté par les salariés du Help Desk cependant que la société Proservia était totalement étrangère au contrat de prestations de services conclu entre la société Euriware et son client Areva, et n’avait aucune connaissance des termes négociés par les sociétés Euriware et Areva, la cour d’appel a violé les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail ;



3°/ que l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ; qu’en considérant, pour dire qu’il existait de graves atteintes à la sécurité et à la santé des salariés de la société Proservia, que les salariés de la société Proservia étaient soumis à des objectif précis et à des rappels à l’ordre individuels pour le cas où ces objectifs n’auraient pas été atteints cependant que les salariés de la société Proservia n’étaient soumis à aucun objectif de performance, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 4121-1 et L. 4121-1 du code du travail ;



4°/ que le juge ne peut pas dénaturer les documents qui lui sont soumis ; qu’en énonçant que le deuxième facteur aggravant du risque ressortait du fait que les salariés travaillaient sous contrôle permanent de leur activité, résultant de la gestion informatisée du centre d’appels et du traitement en temps réel de l’information, laquelle était relayée par les bandeaux d’affichage placés en hauteur dans l’open-space, permettant à chacun de connaître l’état du flux des appels et le niveau de disponibilité de chaque intervenant (rapport Technologia de février 2012) quand il ressortait du rapport d’expertise du cabinet Technologia que « ces panneaux avec des informations réactualisées en continu ne semblaient pas perçus comme des moyens de pression éventuellement exercés par la hiérarchie, et qu’ils étaient pour le moment considérés comme de simple outils d’information », la cour d’appel a dénaturé les termes clairs et précis de ce rapport et violé le principe selon lequel il est interdit au juge de dénaturer les documents de la cause ;



5°/ que les juges du fond sont tenus de procéder à l’analyse des documents régulièrement soumis à leur examen ; qu’en énonçant que le deuxième facteur aggravant du risque ressort du fait que les salariés travaillaient sous contrôle permanent de leur activité, résultant de la gestion informatisée du centre d’appels et du traitement en temps réel de l’information, laquelle était relayée par les bandeaux d’affichage placés en hauteur dans l’open-space, permettant à chacun de connaître l’état du flux des appels et le niveau de disponibilité de chaque intervenant (rapport Technologia de février 2012) cependant qu’il résultait de la photographie de ce tableau, que ce panneau ne contenait aucune référence à l’atteinte « d’objectifs », aucune référence à une quelconque cadence de travail, aucun comparatif par rapport à des statistiques relatives à des périodes antérieures mais uniquement le flux d’appels en cours à un instant donné, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ;



6°/ que l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ; que le temps de pause ne constitue pas un temps de retrait ; qu’en énonçant qu’il apparaissait que les salariés disposaient d’une pause totale de 2 heures par jour intégrant la pause déjeuner et 2 pauses de 15 minutes, de sorte que le temps de retrait, qui consistait à ne pas prendre d’appel, s’établissait au maximum à 30 minutes par jour, la cour d’appel a confondu les notions de temps de pause et de temps de retrait et a violé les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail ;





7°/ que les termes du litige sont fixés par les prétentions respectives des parties ; qu’en retenant que la quasi-totalité de salariés Proservia opéraient largement sous le contrôle de managers de la société Euriware quand la société Proservia observait et démontraient que les salariés de la société Proservia étaient placés sous la seule autorité et la seule responsabilité d’un manager de la société Proservia, la cour d’appel a violé l’article 4 du code de procédure civile ;



8°/ que par des écritures demeurées sans réponse, la société Proservia faisait valoir que le CHSCT de la société Euriware avait purement et simplement refusé la présence de la société Proservia lors de la réunion concernant les réponses données par la direction de la société Euriware à la suite de l’expertise du cabinet Technologia concernant le recours à la sous-traitance au sein du Help Desk ; qu’en reprochant à la société Proservia de ne pas avoir coopéré à la mise en oeuvre des dispositions relatives à la santé et à la sécurité au travail au mépris de l’article L. 4121-5 du code du travail et de n’avoir jamais participé aux réunions du CHSCT de la société Euriware Ouest sans même s’expliquer sur le moyen déterminant des écritures d’appel de la société Proservia de nature à démontrer que le CHSCT de la société Euriware n’avait pas permis à la société Proservia de prendre des mesures relatives à la santé et à la sécurité des travailleurs, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ;



Mais attendu qu’ayant relevé que les objectifs et les moyens du centre d’appels avaient été définis sans qu’aucun document ni aucune norme ne permette d’apprécier la pertinence du ratio retenu d’environ 13 500 utilisateurs pour 48 salariés, que ces derniers travaillaient sous le contrôle permanent de leur activité au moyen de la gestion informatisée du centre d’appels, un bandeau d’affichage placé en hauteur diffusant l’état du flux des appels et la disponibilité des salariés présents, que si le fait de ne pas atteindre les objectifs n’était pas sanctionné sur le plan du salaire ou de l’emploi, il donnait lieu à des rappels à l’ordre individuels, dans un contexte d’exigence élevée des utilisateurs, à l’origine de conditions de travail mettant en péril la santé des salariés et enfin, que, s’il n’était pas possible de connaître le motif de l’absence de la société Proservia à la réunion organisée à la suite du dépôt du rapport du cabinet Technologia et du suicide de l’un de ses salariés, la société Proservia n’avait pris l’initiative d’aucune concertation avec la société Euriware en matière d’organisation des conditions de travail sur le site, la cour d’appel, effectuant les recherches prétendument omises et répondant aux conclusions dont elle était saisie, hors toute dénaturation, a légalement justifié sa décision ;

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