jurisprudence

Cas, du 7/05/2018, 17-80.569, défaut de gilets de sauvetage

Cour de cassation, Chambre criminelle, 7 mai 2018, 17-80.569, Inédit

« LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :

Statuant sur les pourvois formés par :

La société Petroservices,
M. Franck X…
M. Pascal Y…,
M. Xavier Z…,

contre l’arrêt de la cour d’appel de BORDEAUX, chambre correctionnelle, en date du 9 décembre 2016, qui, dans la procédure suivie contre eux des chefs d’homicide involontaire et infractions à la réglementation sur la sécurité des travailleurs, a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 13 mars 2018 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, Mme C…, conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Zita ;

Sur le rapport de Mme le conseiller C…, les observations de la société civile professionnelle GADIOU et CHEVALLIER et de la société civile professionnelle GATINEAU et FATTACCINI, de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocats en la Cour, et les conclusions de Mme l’avocat général D…  ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure, que la société Petroservices assurant des services aux entreprises industrielles dans les installations portuaires, sous-traitante de la société Saipol, fabriquant d’huile végétale, a chargé un de ses salariés, A… B…, docker, d’aider à raccorder par un tuyau flexible la canalisation de la société Saipol à la valve d’un navire amarré au quai et d’aider à la communication avec l’équipage du navire en signalant toute anomalie ; que, le 18 avril 2012 vers 6 heures 50, A… B… procédait à ces opérations lorsqu’il a fait une chute dans la Garonne et a disparu dans le fleuve, alors qu’il ne portait pas de gilet de sauvetage ; que son corps a été retrouvé sept jours après ; que la société Petroservices, M. X…, M. Y…, en leurs qualités de représentants légaux, la société Saipol et M. Z…, directeur de l’établissement de la société Saipol de Bassens ont été poursuivis du chef d’homicide involontaire, pour absence de protection individuelle ou collective contre les chutes dans la Garonne, et exécution de travaux par une entreprise extérieure sans établissement d’un plan de prévention préalable conforme ; que M. Z… et la société Saipol ont été poursuivis en outre pour avoir fait exécuter des travaux par une entreprise extérieure sans inspection commune préalable conforme et la société Petroservices, M. X… et M. Y…, pour avoir mis à la disposition des travailleurs des équipements de protection individuelle sans vérification de conformité, en l’espèce des gilets de sauvetage n’ayant pas fait l’objet des examens annuels de vérification de conformité ; que le tribunal correctionnel a constaté l’extinction de l’action publique à l’égard de la société Saipol, radiée du registre du commerce et des sociétés à la suite d’une fusion absorption par la SAS Diester Industrie, et relaxé les autres prévenus ; que Mme B…, partie civile, a seule interjeté appel de ce jugement ;

En cet état ;

I- Sur les pourvois formés par la société Petroservices, MM. Franck X… et Pascal Y… ;

Vu le mémoire commun aux demandeurs ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 451-1 du code de la sécurité sociale, 1382, devenu 1240 du code civil, 497, 509, 515, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

« en ce que l’arrêt attaqué a considéré que l’appel interjeté par Mme B… contre la société Pétroservices, M. X… et M. Y… était recevable ;

« aux motifs que selon l’article L. 451-1 du code de la sécurité sociale, aucune action en réparation du préjudice causé par un accident du travail ne peut, en dehors des cas prévus par ce texte, être exercée conformément au droit commun, par la victime contre l’employeur ou ses préposés et il en résulte que la réparation des dommages subis par A… B…, victime directe de l’accident du travail et par son épouse, victime par ricochet, échappe à la compétence de la juridiction pénale ; que Mme B… est néanmoins recevable à exercer l’action civile devant la juridiction correctionnelle et possède, par l’effet de sa constitution, le droit d’interjeter appel aux fins de faire établir, dans la limite des faits, objets de la poursuite, l’existence de fautes civiles commises par cet employeur ou ses préposés, l’article L. 451-1 empêchant seulement Mme B… d’obtenir du juge pénal qu’il statue sur le principe même de leur responsabilité et qu’il les condamne à payer des dommages-intérêts, l’article 470-1 du code de procédure pénale n’apportant pas d’exception au principe posé par l’article L. 451-1 du code de la sécurité sociale ; qu’il en résulte que l’appel interjeté par Mme B… contre la société Pétroservices, M. X… et M. Y…, est recevable » ;

« alors que l’appel interjeté par la seule partie civile à l’encontre d’une décision de relaxe a pour effet de déférer à la juridiction du second degré l’action en réparation des conséquences dommageables qui peuvent résulter de la faute civile du prévenu définitivement relaxé, cette faute devant être démontrée à partir et dans la limite des faits objets de la poursuite ; qu’il est constant qu’aux termes des dispositions d’ordre public de l’article L. 451-1 du code de la sécurité sociale, aucune action en réparation du préjudice causé par un accident du travail ne peut, en dehors des cas prévus par ce texte, être exercée, conformément au droit commun, par la victime, ou ses ayants droit, contre l’employeur ou ses préposés, ce dont il résulte que la juridiction répressive n’est pas compétente pour statuer sur la responsabilité civile en la matière ; qu’en affirmant que la veuve de la victime d’un accident du travail disposait du droit d’interjeter appel d’une décision de relaxe aux fins de faire établir, dans la limite des faits objets de la poursuite, l’existence de fautes civiles commises par son employeur ou ses préposés tout en admettant que l’article L. 451-1 du code de la sécurité sociale interdisait au juge pénal qu’il statue sur le principe même de leur responsabilité civile, la cour d’appel a statué par des motifs contradictoires entachant sa décision de toute base légale, la recherche de l’existence de fautes civiles imputables à l’employeur ou à ses préposés en lien de causalité avec le décès de la victime impliquant nécessairement de statuer sur le principe de leur responsabilité civile » ;

Attendu que, pour écarter l’argumentation des intimés soutenant que l’appel de la partie civile était irrecevable, l’arrêt énonce que si, selon l’article L. 451-1 du code de la sécurité sociale, aucune action en réparation du préjudice causé par un accident du travail ne peut, en dehors des cas prévus par ce texte, être exercée conformément au droit commun, par la victime contre l’employeur ou ses préposés, ce dont il résulte que la réparation des dommages subis par A… B…, victime directe de l’accident du travail et par son épouse, victime par ricochet, échappe à la compétence de la juridiction pénale, Mme B… est néanmoins recevable à exercer l’action civile devant la juridiction correctionnelle et possède, par l’effet de sa constitution, le droit d’interjeter appel aux fins de faire établir, dans la limite des faits, objet de la poursuite, l’existence de fautes civiles commises par cet employeur ou ses préposés, l’article L. 451-1 précité empêchant seulement Mme B… d’obtenir du juge pénal qu’il statue sur le principe même de leur responsabilité ;

Attendu qu’en prononçant ainsi, la cour d’appel a fait l’exacte application des articles 497, 509 du code de procédure pénale et L. 451-1 du code de la sécurité sociale ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 1382, devenu 1240 du code civil, L. 4741-1, L. 4221-1, L. 4111-1, R. 4224-1, R. 4224-3, R. 4224-20, R. 4225-1, R. 4323-12, R. 4323-13, R. 4511-1, R. 4512-2 du code du travail, 121-3 et 221-6 du code pénal, 2, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

« en ce que l’arrêt attaqué a relevé l’existence de fautes civiles imputables aux demandeurs en lien de causalité avec le décès de A… B… ;

« aux motifs que l’article R. 4511-1 du code du travail prévoit que les dispositions relatives aux travaux réalisés par un établissement dans une entreprise extérieure s’appliquent au chef de l’entreprise utilisatrice et au chef de l’entreprise extérieure lorsque celle-ci fait intervenir des travailleurs pour exécuter ou participer à l’exécution d’une opération, quelle que soit sa nature, dans un établissement d’une entreprise utilisatrice, y compris dans ses dépendances ou chantiers ; qu’il résulte des déclarations du commandant adjoint et du responsable de l’hygiène et de la sécurité du grand port maritime de Bordeaux, recueillis par un inspecteur du travail dans le procès-verbal relatif à l’accident dont A… B… a été victime, que les terminaux portuaires de Bassens font certes partie du domaine public, mais que les opérateurs privés, telle la société Saipol, ont la maîtrise de l’exploitation de leurs propres installations et que spécialement pour l’exploitation du quai 436 où est survenu l’accident, cette société bénéficiait d’une autorisation d’occupation pour ses matériels de chargement tel l’engin de levage servant au maintien du flexible côté quai ; qu’il résulte de ces éléments que la société Saipol était titulaire d’une concession d’occupation d’une partie du domaine public, c’est-à-dire des installations portuaires situées à proximité de son propre établissement industriel et utilisées de manière habituelle pour effectuer le chargement d’huiles sur des navires, installations qui constituaient ainsi des dépendances ou des chantiers au sens de l’article R. 4511-1 du code du travail ; qu’il était alors nécessaire que, préalablement à l’exécution d’une partie de ces opérations par les salariés de la société Pétroservices, celle-ci et la société Saipol, procèdent à une inspection commune des lieux de travail, des installations qui s’y trouvaient et des matériels éventuellement mis à disposition de l’entreprise extérieure et qu’elles élaborent un plan de prévention des risques ; qu’aucun compte-rendu de l’inspection préalable prévue aux articles R. 4512-2 et suivants du code du travail n’a été produit lors de l’enquête de police, ni devant le tribunal correctionnel ou la cour d’appel, alors que cette phase préparatoire à l’exécution d’une opération par une entreprise extérieure est essentielle, car c’est au vu des informations recueillies au cours de cette inspection préalable que le chef de l’entreprise extérieure et celui de l’entreprise utilisatrice sont à même d’analyser les risques pouvant résulter de l’interférence entre les activités, les installations et les matériels des deux entreprises et sont amenés, lorsque l’existence de risques est reconnue, à déterminer, avant le début des travaux, le plan de prévention définissant les mesures qui doivent être prises par chacune de ces entreprises, la qualité du plan de prévention dépendant ainsi directement du soin apporté à l’évaluation, au cours de l’inspection préalable, de la nature et de la gravité des risques susceptibles de découler de cette interférence ; que la société Saipol et la société Pétroservices ont certes établi un plan de prévention dans lequel elles ont identifié le risque de chute dans la Garonne lors des déplacements sur le quai et lors de l’accès aux navires, tenant compte de ce que si l’activité de chargement des huiles de la société Saipol n’imposait pas aux salariés de la société Pétroservices de s’approcher du bord du quai, ils en avaient « pris l’habitude (
) pour un temps très court, pour communiquer éventuellement avec un membre d’équipage (
) et pour observer lors du lancement de l’opération le flexible dans la partie située entre le quai et le bateau », comme l’ont reconnu la société Pétroservices, M. X… et M. Y… dans leurs conclusions ; mais qu’après avoir identifié ce risque de chute, la société Pétroservices et la société Saipol ont envisagé, comme seule mesure préventive, le « port du gilet de sauvetage », afin de protéger le salarié de la noyade, alors qu’il était aussi nécessaire de concevoir en amont des mesures contre le risque de chute qui avait été identifié dans le plan de prévention, et qui constituait un danger spécifique, notamment dans les cas où les salariés ne porteraient pas le gilet de sauvetage qui leur était fourni ; que de telles mesures préventives étaient pourtant réalisables et ce malgré la configuration spécifique des lieux et les particularités de l’activité de chargement de navires amarrés à un quai faisant partie du domaine public ; qu’en effet, les responsables du grand port Maritime de Bordeaux ont précisé au contrôleur du travail charge de l’enquête que rien n’empêchait la société Saipol et la société Pétroservices de mettre en place des dispositifs de sécurité pour que les salariés ne s’approchent pas du quai, et qu’il suffisait pour cela que ces sociétés concluent avec les autorités portuaires une convention complémentaire d’occupation du domaine public, sous réserve de respecter les règles édictées par la police portuaire ainsi que le principe de libre circulation sur les quais publics ; que par ailleurs, l’installation d’un équipement de protection collective était techniquement possible, comme en atteste la pièce 11 produite par la société Pétroservices et datée du 25 mai 2012, qui détaille le « processus de mise en place de poteaux avec rubalise ou chaîne en plastic [sic] en bordure du quai », la protection étant dans ce cas assurée par la pose, avant chaque opération, à deux mètres environ du nord du quai, de poteaux reliés entre eux par une rubalise, dont l’ensemble devait délimiter une zone de sécurité, l’accès à bord des navires se faisant alors par une passerelle sécurisée, munie d’un filet de protection, et à l’issue de l’opération de chargement, les poteaux et la rubalise étaient transportés et stockés dans un local à disposition des salariés ; que ce dispositif amovible, aisé à installer puis à remiser, permettait d’éviter que le salarié de la société Pétroservices ne s’approche du bord du quai, tout en laissant libre le passage des tiers sur les deux mètres séparant la rubalise de cette bordure de quai ; qu’il résulte de ces éléments que M. Z…, directeur de l’établissement de la société Saipol de Bassens, chargé d’assurer la coordination générale des mesures de prévention prises par les chefs d’entreprises extérieures intervenant dans son établissement ou ses chantiers, a commis une faute personnelle caractérisée en ne procédant pas à l’inspection préalable imposée par l’article R. 4512-2 du code du travail ; qu’en outre, M. Z… a commis une faute personnelle caractérisée en ne prévoyant pas, dans ce plan de prévention, les matériels, installations et dispositifs adaptés qui auraient permis d’éviter la chute de A… B… dans la Garonne, fautes qui ont exposé ce dernier à un risque d’une particulière gravité que M. Z… ne pouvait ignorer ; que ces fautes sont en lien de causalité avec le décès de A… B…, dès lors qu’en l’absence de tout équipement de protection collective contre les chutes dans la Garonne, ce salarié, positionné en bordure du quai, est tombé dans le fleuve, étant précisé que sa chute n’a pu être l’effet des médicaments que lui avait prescrits un médecin pour traiter une pathologie psychotique ou schizophrénique, puisque l’analyse toxicologique effectuée à la suite de l’autopsie a révélé une absence d’alcool, de médicaments, de stupéfiants ou de produits hallucinogènes ; qu’il apparaît enfin que la faute commise par A… B… en omettant de revêtir l’un des gilets de sauvetage mis à sa disposition, n’est pas la cause exclusive de sa noyade dès lors que sont retenus des manquements aux règles du code du travail relatives aux mesures de prévention des risques ;

« 1°) alors qu’aucune faute civile démontrée à partir et dans la limite des faits d’homicide involontaire objets de la prévention ne saurait être retenue sans que soit constatée l’existence certaine d’un lien de causalité entre les manquements reprochés et le décès de la victime ; que dans leurs conclusions régulièrement déposées, la société Pétroservices, MM. X… et Y… avaient expressément fait valoir l’absence de lien de causalité certain entre les fautes alléguées et le décès de A… B… tenant, d’une part, au fait que les circonstances exactes et la cause de son décès étaient demeurées inconnues, et d’autre part au fait que son décès avait clairement pour origine une faute de la victime qui n’avait pas respecté les règles de sécurité qu’il connaissait pourtant parfaitement pour des raisons demeurées inexpliquées ; qu’en se bornant à retenir l’existence de fautes civiles en lien avec le décès de A… B…, sans nullement chercher à s’assurer de la certitude de ce lien de causalité quand il était pourtant établi que les circonstances et la cause exacte du décès étaient demeurées inconnues et qu’il n’était pas contesté que la victime suivait un traitement lourd pour des troubles bipolaires pour lesquels elle bénéficiait d’une invalidité à 80 %, la cour d’appel n’a pas mis la Cour de cassation en mesure d’exercer son contrôle et privé sa décision de toute base légale ;

« 2°) alors qu’il résulte des propres énonciations du plan de prévention annexé au procès-verbal du contrôleur du travail et produit à la procédure, que tous les lieux cités dans le plan ont été « repérés au cours de la visite du jour même », ce dont il résulte qu’une inspection préalable commune des lieux est bien intervenue conformément aux exigences de l’article R. 4512-2 du code du travail ; qu’en se bornant à présumer l’absence d’inspection préalable de l’absence de production lors de l’enquête ou devant les juges du fond d’un compte-rendu de l’inspection préalable, quand il résultait indubitablement du plan de prévention lui-même que cette inspection préalable était bien intervenue et avait conduit à la rédaction du plan de prévention tel que visé à la procédure, et quand la partie civile elle-même n’avait à aucun moment allégué qu’une telle visite ne se serait pas tenue, la cour d’appel a justifié l’existence d’une faute sur le fondement de motifs parfaitement infondés, contredits de surcroît par les pièces de la procédure, privant de ce fait sa décision de toute base légale ;

« 3°) alors que l’existence de manquements en matière de sécurité du travail doit être appréciée au jour de la commission des faits reprochés sans pouvoir être déduite de la seule et unique survenance de l’accident ; qu’il est établi en l’espèce qu’avant cet accident, le plan de prévention ayant identifié les risques de chute dans la Garonne, soit par déplacement sur le quai, soit par accès sur bateau et ayant préconisé en conséquence le port d’un gilet de sauvetage et de chaussures de sécurité comme seules mesures préventives, n’avait fait l’objet d’aucune remarque que ce soit de la part de la DIRECCTE à laquelle il avait été adressé, ou du CHSCT dont aucun des procès-verbaux n’avait prévu d’action possible impliquant une autre protection ; qu’en déduisant l’existence d’une faute civile tenant à un défaut de mise en oeuvre de protections collectives pour éviter une chute dans la Garonne du seul dispositif de balisage provisoire décidé par la société Pétroservices postérieurement à l’accident pour en éviter tout renouvellement, sans nullement établir que les mesures préventives adoptées antérieurement à l’accident par les demandeurs auraient été dénoncées par quiconque comme étant insuffisantes, la cour d’appel n’a en réalité déduit l’existence d’une faute civile que de la seule et unique survenance de l’accident, privant de ce fait sa décision de toute base légale au regard des textes visés au moyen ;

« 4°) alors qu’il ne peut y avoir de faute civile qu’autant que son auteur n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences, ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait ; qu’en l’espèce, il avait été démontré par les demandeurs qu’avait été retenue comme seule mesure préventive contre le risque de chute le port de chaussures de sécurité et d’un gilet de sauvetage, dans la mesure où un dispositif de protection collective était irréalisable par la seule société Pétroservices, s’agissant d’un quai de chargement relevant du domaine public, géré par le port autonome de Bordeaux qui en assure l’entretien et décide des aménagements qui peuvent y être apportés ; que l’impossibilité de prendre des mesures de protection collective en accord avec le port de Bordeaux alléguée avant l’accident avait été amplement démontrée depuis la survenance de l’accident puisque malgré des discussions sans fin tant avec l’inspection du travail, qu’avec la CARSAT, qu’avec le port de Bordeaux, le tout, suivi par le CHSCT de la société Pétroservices, afin d’envisager la mise en place de moyens collectifs de protection, il était ressorti qu’il était en réalité impossible de prévoir des moyens collectifs de protection à cet endroit afin d’éviter une chute dans la Garonne ; qu’en se bornant à affirmer de façon purement abstraite que des mesures de protection collective contre les chutes étaient « réalisables » par la simple conclusion d’une convention complémentaire d’occupation du domaine public avec les autorités portuaires, en s’abstenant de prendre en considération, comme elle y était pourtant invitée par les demandeurs dans leurs conclusions, qu’il s’était avéré impossible à cet endroit de mettre en place des mesures de protection collective en accord avec le port de Bordeaux, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard des exigences d’appréciation concrète de la faute impliquant l’établissement d’un défaut de diligences normales compte tenu des pouvoirs et des moyens dont disposaient les personnes à l’origine des fautes reprochées » ;

Attendu que l’arrêt n’ayant pas, dans le dispositif, retenu de faute civile à l’encontre des demandeurs, ceux-ci sont sans intérêt à critiquer des énonciations de l’arrêt qui ne contiennent aucune disposition susceptible de leur faire grief ;

Que le moyen est inopérant ;

II- Sur le pourvoi formé par M. Z… :

Sur le premier moyen de cassation ;

Vu l’article 567-1-1 du code de procédure pénale ;

Attendu que le moyen n’est pas de nature à être admis ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 4741-1, L 4741-2, L. 4511-1, R. 4511-1, R. 4511-4, R. 4214-21 et R. 4512-2 à R. 4512-6, R. 4214-21 du code du travail, 1240 nouveau du code civil, 485, 591 et 593 du code de procédure pénale, 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, défaut de motifs, manque de base légale, défaut de réponse à conclusions ;

« en ce que l’arrêt attaqué, infirmatif de ce chef, a dit que M. Z… a commis des fautes personnelles caractérisées, qui ont exposé A… B… à un risque d’une particulière gravité qu’il ne pouvait ignorer, fautes qui sont en lien de causalité avec le décès de la victime ; qu’il a, en conséquence, déclaré recevables les demandes en dommages-intérêts à l’encontre de M. Z… ; qu’il a condamné celui-ci à payer à Mme B…, en sa qualité d’ayant-droit de A… B…, la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice moral de ce dernier et a condamné M. Z… à payer à Mme B… la somme de 20 000 euros au titre de son préjudice d’affection ;

« aux motifs que l’article R. 4511-1 du code du travail prévoit que les dispositions relatives aux travaux réalisés par un établissement dans une entreprise extérieure s’appliquent au chef de l’entreprise utilisatrice et au chef de l’entreprise extérieure lorsque celle-ci fait intervenir des travailleurs pour exécuter ou participer à l’exécution d’une opération, quelle que soit sa nature, dans un établissement d’une entreprise utilisatrice, y compris dans ses dépendances ou chantiers ; qu’il résulte des déclarations du commandant adjoint et du responsable de l’hygiène et de la sécurité du grand port maritime de Bordeaux, recueillis par un inspecteur du travail dans le procès-verbal relatif à l’accident dont A… B… a été victime, que les terminaux portuaires de Bassens font certes partie du domaine public, mais que les opérateurs privés, telle la société Saipol, ont la maîtrise de l’exploitation de leurs propres installations et que spécialement pour l’exploitation du quai 436 où est survenu l’accident, cette société bénéficiait d’une autorisation d’occupation pour ses matériels de chargement tel l’engin de levage servant au maintien du flexible côté quai ; qu’il résulte de ces éléments que la société Saipol, était titulaire d’une concession d’occupation d’une partie du domaine public, c’est à dire des installations portuaires situées à proximité de son propre établissement industriel et utilisées de manière habituelle pour effectuer le chargement d’huiles sur des navires, installations qui constituaient ainsi des dépendances ou des chantiers au sens de l’article R.4511-1 du code du travail ; qu’il était alors nécessaire que, préalablement à l’exécution d’une partie de ces opérations par les salariés de la société Pétroservices, celle-ci et la société Saipol, procèdent à une inspection commune des lieux de travail, des installations qui s’y trouvaient et des matériels éventuellement mis à disposition de l’entreprise extérieure et qu’elles élaborent un plan de prévention des risques ; qu’aucun compte rendu de l’inspection préalable prévue aux articles R. 4512-2 et suivants du code du travail n’a été produit lors de l’enquête de police, ni devant le tribunal correctionnel ou la cour d’appel, alors que cette phase préparatoire à l’exécution d’une opération par une entreprise extérieure est essentielle, car c’est au vu des informations recueillies au cours de cette inspection préalable que le chef de l’entreprise extérieure et celui de l’entreprise utilisatrice sont à même d’analyser les risques pouvant résulter de l’interférence entre les activités, les installations et les matériels des deux entreprises et son amenés, lorsque l’existence de risques est reconnue, à déterminer, avant le début des travaux, le plan de prévention définissant les mesures qui doivent être prises par chacune de ces entreprises, la qualité du plan de prévention dépendant ainsi directement du soin apporté à l’évaluation, au cours de l’inspection préalable, de la nature et de la gravité des risques susceptibles de découler de cette interférence ; que la société Saipol et la société Pétroservices ont certes établi un plan de prévention dans lequel elles ont identifié le risque de chute dans la Garonne lors des déplacements sur le quai et lors de l’accès aux navires, tenant compte de ce que si l’activité de chargement des huiles de la société Saipol n’imposait pas aux salariés de la société Pétroservices de s’approcher du bord du quai, ils en avaient « pris l’habitude ( …) pour un temps très court, pour communiquer éventuellement avec un membre d’équipage (. .. ) et pour observer lors du lancement de l’opération le flexible dans la partie située entre le quai et le bateau », comme l’ont reconnu la société Pétroservices, M. X… et M. Y… dans leurs conclusions ; mais après avoir identifié ce risque de chute, la société Pétroservices et la société Saipol ont envisagé, comme seule mesure préventive, le « port du gilet de sauvetage » afin de protéger le salarié de la noyade, alors qu’il était aussi nécessaire de concevoir en amont des mesures contre le risque de chute qui avait été identifié dans le plan de prévention, et qui constituait un danger spécifique, notamment dans les cas où les salariés ne porteraient pas le gilet de sauvetage qui leur était fourni ; que de telles mesures préventives était pourtant réalisables, et ce malgré la configuration spécifique des lieux et les particularités de l’activité de chargement de navires amarrés à un quai faisant partie du domaine public ; qu’en effet, les responsables du grand port maritime de Bordeaux ont précisé au contrôleur du travail chargé de l’enquête que rien n’empêchait la société Saipol et la société Pétroservices de mettre en place des dispositifs de sécurité pour que les salariés ne s’approchent pas du quai, et qu’il suffisait pour cela que ces sociétés concluent avec les autorités portuaires une convention complémentaire d’occupation du domaine public, sous réserve de respecter les règles édictées par la police portuaire ainsi que le principe de libre circulation sur les quais publics ; que par ailleurs, l’installation d’un équipement de protection collective était techniquement possible, comme en atteste la pièce 11 produite par la société Pétroservices et datée du 25 mai 2012, qui détaille « le processus de mise en place de poteaux avec rubalise ou chaîne en plastic [ sic] en bordure du quai », la protection étant dans ce cas assurée par la pose, avant chaque opération, à deux mètres environ du nord du quai, de poteaux reliés entre eux par une rubalise, dont l’ensemble devait délimiter une zone de sécurité, l’accès à bord des navires se faisant alors par une passerelle sécurisée, munie d’un filet de protection, et à l’issue de l’opération de chargement, les poteaux et la rubalise étaient, transportés et stockés dans un local à disposition des salarié ; que ce dispositif amovible, aisé à installer puis à remiser, permettait d’éviter que le salarié de la société Pétroservices ne s’approche du bord du quai, tout en laissant libre le passage des tiers sur les deux mètres séparant la rubalise de cette bordure de quai ; qu’il résulte dc ces éléments que M. Z…, directeur de l’établissement la société Saipol de Bassens, chargé d’assurer la coordination générale des mesures de prévention prises par les chefs d’entreprises extérieures intervenant dans son établissement ou ses chantiers, a commis une faute personnelle caractérisée en ne procédant pas à l’inspection préalable imposée par l’article R.4512-2 du code du travail ; qu’en outre, M. Z… a commis une faute personnelle caractérisée en ne prévoyant pas, dans ce plan de prévention, les matériels, installations et dispositifs adaptés qui auraient permis d’éviter la chute de A… B… dans la Garonne, fautes qui ont exposé ce dernier à un risque d’une particulière gravité que M. Z… ne pouvait ignorer ; que ces fautes sont en lien de causalité avec le décès de A… B…, dès lors qu’en l’absence de tout équipement de protection collective contre les chutes dans la Garonne, ce salarié, positionné en bordure du quai, est tombé dans le fleuve, étant précisé que sa chute n’a pu être l’effet des médicaments que lui avait prescrit un médecin pour traiter une pathologie psychotique ou schizophrénique, puisque l’analyse toxicologique effectuée à la suite de l’autopsie a révélé une absence d’alcool, de médicaments, de stupéfiants ou de produits hallucinogènes ; qu’il apparaît enfin que la faute commise par A… B… en omettant de revêtir l’un des gilets de sauvetage mis à sa disposition, n’est pas la cause exclusive de sa noyade dès lors que sont retenus des manquements aux règles du code du travail relatives aux mesures de prévention des risques ;

« 1°) alors que l’établissement du plan de prévention est nécessairement précédé d’une inspection commune « préalable » qui a précisément pour objet d’identifier les risques pouvant résulter de l’interférence entre les activités, installations et matériels pour ensuite les prévenir par les mesures préconisées dans le plan de prévention ; qu’en l’espèce, la cour d’appel, qui a expressément constaté que la société Saipol avait établi un plan de prévention dans lequel étaient identifiés les risques, notamment celui de chute dans la Garonne, aurait dû en déduire que la société Saipol avait nécessairement procédé à une inspection préalable et qu’il en résultait que M. Z… aurait commis une faute personnelle caractérisée en ne procédant pas à l’inspection préalable des lieux ; qu’en décidant le contraire pour retenir à la charge de celui-ci une faute causale avec le préjudice de la victime, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les textes visés au moyen ;

« 2°) alors qu’il était constant comme résultant des propres constatations de l’arrêt que « l’activité de chargement (…) n’imposait pas aux salariés de la société Pétroservices (i. e : Saipol) de s’approcher du bord du quai » ; que le quai de chargement ne constituant pas, en effet, le lieu de travail des salariés, aucun dispositif de sécurité collective n’avait à y être mis en place ; qu’en décidant le contraire pour retenir une faute « en ne prévoyant pas dans le plan de prévention, les matériels, installations et dispositifs adaptés » permettant d’éviter la chute, la cour d’appel a derechef violé les textes visés au moyen ;

« 3°) alors que, le demandeur avait souligné que des mesures de sécurité collective se heurtaient à deux obstacles, l’un juridique, le pouvoir de police de grande voirie ou celui de la circulation et de l’usage des quais n’appartenant qu’au seul port de Bordeaux, l’autre technique en ce que l’angle des amarres avec le quai rendait impossible l’installation de quelque équipement que ce soit entre l’axe de la ligne des bollards et l’arête du quai, ce qui expliquait au demeurant que, suite à l’accident, aucune installation de sécurité collective n’avait été réalisée ; que dès lors, en se bornant à affirmer que « l’installation d’un équipement de protection collective était techniquement possible », fût-il amovible, sans prendre en considération ce moyen tendant à établir une impossibilité technique factuelle et résultant de la configuration des lieux, la cour d’appel a encore violé les textes visés au moyen ;

« 4°) alors qu’à supposer même que l’absence de tout équipement de protection collective ait été la cause de la chute de A… B…, la noyade de la victime et, partant, le décès de celle-ci résultait exclusivement et directement de l’absence de port de gilet de sauvetage, et ce, en contravention avec les obligations imposées par l’employeur ; qu’en décidant le contraire, la cour d’appel a violé les textes visés au moyen » ;

Attendu que, pour déclarer M. Z… responsable des conséquences de l’accident mortel subi par A… B…, l’arrêt retient en substance que la société Saipol était titulaire d’une concession d’occupation d’une partie du domaine public sur le quai où est survenu l’accident, qu’il était dès lors nécessaire qu’elle procède, avec la société Petroservices, à une inspection commune des lieux de travail en vue d’un plan de prévention des risques, dont aucun procès-verbal n’a cependant été produit ; que les juges ajoutent que la configuration des lieux et la particularité de l’activité de chargement n’empêchaient pas la mise en place de dispositifs de sécurité, par convention complémentaire d’occupation du domaine public afin que les salariés ne s’approchent pas du quai, l’installation d’un équipement de protection collective étant techniquement possible ; qu’ils en déduisent que M. Z…, chargé d’assurer la coordination générale des mesures de prévention prises par les entreprises extérieures intervenant sur ses chantiers, a commis des fautes caractérisées, qui sont en lien de causalité avec le décès lequel n’a pas pour cause exclusive l’omission, par la victime, de revêtir un gilet de sauvetage ;

Attendu qu’en statuant ainsi, la cour d’appel n’encourt pas les griefs allégués au moyen, lequel ne peut qu’être écarté ;
Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois ;

FIXE à 350 euros la somme globale que la société Petroservices, MM. X…, Y… et Z… devront payer à Mme B… au titre de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;

FIXE à 2 500 euros la somme que la société Petroservices, MM. X…, Y… et Z… devront payer à la société civile professionnelle Waquet, Farge, Hazan, au titre de l’article 618-1 précité et de l’article 37, alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 modifiée ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le sept mai deux mille dix-huit ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre. »

Cass. crim., 7 mai 2018, n° 17-80.569. Lire en ligne : https://www.doctrine.fr/d/CASS/2018/JURITEXT000036930209

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