28 NOVEMBRE 2023
Arrêt n°
CV/SB/NS
Dossier N° RG 21/01641 – N° Portalis DBVU-V-B7F-FUTN
[U] [D]
/
Association [7] , CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE L’ALLIER
jugement au fond, origine pole social du tj de moulins, décision attaquée en date du 28 juin 2021, enregistrée sous le n° 18/01431
Arrêt rendu ce VINGT-HUIT NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT-TROIS par la CINQUIEME CHAMBRE CIVILE CHARGEE DU DROIT DE LA SECURITE SOCIALE ET DE L’AIDE SOCIALE de la cour d’appel de RIOM, composée lors du délibéré de :
Monsieur Christophe VIVET, président
Mme Karine VALLEE, conseillère
Mme Sophie NOIR, conseillère
En présence de Mme Séverine BOUDRY, greffiére lors des débats et du prononcé
ENTRE :
Mme [U] [D]
[Adresse 5]
[Localité 2]
Représentée par Me Anicet LECATRE, avocat au barreau de MOULINS
APPELANTE
ET :
Association [7]
[Adresse 4]
Prise en son établissement secondaire
SERVICE MANDATAIRE JUDICIAIRE A LA PROTECTION DES MAJEURS
[Adresse 3]
Représentée par Me Jean ROUX suppléant Me Antoine PORTAL de la SARL TRUNO & ASSOCIES, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE L’ALLIER
[Adresse 6]
[Localité 1]
Représenté par Me Thomas FAGEOLE, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
INTIMES
Après avoir entendu M.VIVET, président en son rapport, et les représentants des parties à l’audience publique du 25 septembre 2023, la cour a mis l’affaire en délibéré, le président ayant indiqué aux parties que l’arrêt serait prononcé, ce jour, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l’article 450 du code de procédure civile.
FAITS ET PROCÉDURE
Le 26 juillet 2016 Mme [U] [D], salariée de l’association [7] depuis 1998 en tant qu’éducatrice spécialisée déléguée à la tutelle, a effectué une déclaration de maladie professionnelle hors tableau pour ‘syndrome anxio-dépressif , burn-out chronique, lié à surmenage et stress professionnel, stress post-traumatique réactionnel’, constatée le 25 juillet 2016.
Par décision du 26 juillet 2017, la caisse primaire d’assurance maladie de l’Allier (la CPAM), après avis favorable du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles du Puy-de-Dôme (le CRRMP), a pris en charge au titre de la législation sur les risques professionnels la maladie déclarée.
Après consolidation constatée le 10 février 2018, la CPAM a reconnu à Mme [D] une incapacité permanente partielle de 10%. Mme [D] a saisi le tribunal du contentieux de l’incapacité de Clermont-Ferrand (le TCI) d’une contestation quant à ce taux. Par jugement définitif du 9 mars 2021, le TCI devenu pôle social a fixé le taux à 25% dont 5 % au titre du taux professionnel.
Par décision de l’association notifiée le 09 juillet 2018, Mme [D] a été licenciée pour inaptitude avec impossibilité de reclassement.
Par lettre recommandée avec avis de réception du 24 décembre 2018, Mme [D] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de l’Allier afin de voir reconnaître la faute inexcusable de son employeur et obtenir l’indemnisation complémentaire prévue par les articles L.452-1 et suivants du code de la sécurité sociale.
A compter du 1er janvier 2020, le pôle social du tribunal judiciaire de Moulins a succédé au pôle social du tribunal de grande instance de Moulins, auquel avaient été transférées sans formalités à compter du 1er janvier 2019 les affaires relevant jusqu’à cette date de la compétence du tribunal des affaires de sécurité sociale de l’Allier.
Par jugement contradictoire du 28 juin 2021, le pôle social du tribunal judiciaire de Moulins a statué comme suit:
– déboute Mme [D] de sa demande visant à voir reconnaître la faute inexcusable de son employeur, l’association [7], au titre de la maladie déclarée le 26 juillet 2016, prise en charge par la CPAM de 1’Allier au titre de la législation sur les risques processionnels,
– rejette les demandes présentées par Mme [D] au titre de l’expertise et de la provision,
– dit n’y avoir lieu à statuer sur les demandes de la CPAM de l’Allier en l’absence de reconnaissance de faute inexcusable,
– déboute les parties de leurs demandes présentées sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamne Mme [D] aux dépens.
Le jugement a été notifié à la personne de Mme [D] le 12 juillet 2021.
Par déclaration de son conseil reçue au greffe de la cour le 20 juillet 2021, Mme [D] a relevé appel du jugement.
Les parties ont été convoquées à l’audience de la cour du 25 septembre 2023.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par ses dernières écritures notifiées le 25 septembre 2023, soutenues oralement à l’audience, Mme [U] [D] présente les demandes suivantes à la cour:
– déclarer son appel recevable et fondé,
– infirmer le jugement et statuant à nouveau dire que sa maladie professionnelle hors tableau déclarée le 26 juillet 2016 procède de la faute inexcusable de son employeur,
– fixer au maximum légal la majoration de sa rente maladie professionnelle,
– avant dire droit sur l’indemnisation de son préjudice, ordonner son expertise médicale par un médecin expert spécialisé en psychiatrie, lequel recevra en application de l’article L.452-2 du code de la sécurité sociale ainsi que des décisions de la Cour de cassation des 04 avril 2012 et 20 janvier 202, mission de donner son avis sur les points suivants:
*son déficit fonctionnel permanent (barème de droit commun)
*son déficit fonctionnel temporaire total et partiel (taux et durée) période de rechute comprise
*ses souffrances physiques, psychiques ou morales,
*son préjudice esthétique temporaire et définitif,
*son préjudice d’agrément constitué par l’impossibilité de continuer à pratiquer une activité spécifique sportive ou de loisir,
*son préjudice résultant de la perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle,
et le cas échéant:
*son préjudice d’établissement,
*son préjudice sexuel (acte sexuel, fertilité)
*la nécessité de la présence ou assistance constante ou occasionnelle d’une tierce personne avant la consolidation,
*les frais de logement et ou de véhicules adaptés, les aménagements nécessaires pour lui permettre d’adapter son logement et ou son véhicule à son handicap,
*ses préjudices atypiques,
– dire que la CPAM fera l’avance de la provision de 2.000 euros qui lui sera accordée ainsi que des frais d’expertise, lesquels resteront à la charge définitive de l’association [7] au titre des dépens,
– débouter l’association [7] de l’intégralité de ses demandes et la condamner à lui payer et porter la somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner l’association [7] aux dépens de première instance et d’appel.
Par ses dernières écritures notifiées le 25 septembre 2023, soutenues oralement à l’audience, l’association [7] présente les demandes suivantes à la cour:
– confirmer le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il l’a déboutée de sa demande présentée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, et statuant à nouveau:
* à titre principal:
– débouter Mme [D] de sa demande de reconnaissance d’une faute inexcusable,
– débouter Mme [D] de sa demande d’organisation d’une expertise médicale aux fins d’évaluer ses préjudices,
– débouter Mme [D] de sa demande de versement d’une provision à valoir sur ses préjudices,
* subsidiairement, en cas de reconnaissance d’une faute inexcusable:
– limiter l’expertise médicale de Mme [D] à l’évaluation des préjudices énumérés par l’article L.452-3 du code de la sécurité sociale,
– condamner la CPAM à verser à Mme [D] l’éventuelle provision à valoir sur ses préjudices, à charge de récupérer cette somme auprès de l’employeur,
* en toute hypothèse:
– débouter Mme [D] de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions,
– condamner Mme [D] à lui payer et porter la somme de 3.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Par ses dernières écritures notifiées le 9 juin 2023, soutenues oralement à l’audience, la CPAM de l’Allier présente les demandes suivantes à la cour, dans le cas où elle reconnaîtrait la faute inexcusable de l’employeur:
– dire que la CPAM est fondée à solliciter de l’association [7] le remboursement de l’ensemble des sommes avancées au titre de l’expertise, et le remboursement de l’ensemble des sommes avancées au titre de la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, tant au titre des préjudices que de la majoration de la rente,
– condamner la partie perdante à lui verser la somme de 300 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions susvisées des parties, soutenues oralement à l’audience, pour l’exposé de leurs moyens.
MOTIFS
Sur la faute inexcusable en matière de maladie d’origine professionnelle
L’article L.461-1 du code de la sécurité sociale dispose en particulier que les dispositions du livre IV relatif aux accidents du travail et maladies professionnelles sont applicables aux maladies professionnelles sous réserve des dispositions du titre VI relatif aux maladies professionnelles.
Le texte, en ce qui concerne les maladies professionnelles, porte les dispositions suivantes:
‘est présumée d’origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau.
Si une ou plusieurs conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée d’exposition ou à la liste limitative des travaux ne sont pas remplies, la maladie telle qu’elle est désignée dans un tableau de maladies professionnelles peut être reconnue d’origine professionnelle lorsqu’il est établi qu’elle est directement causée par le travail habituel de la victime.
Peut être également reconnue d’origine professionnelle une maladie caractérisée non désignée dans un tableau de maladies professionnelles lorsqu’il est établi qu’elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu’elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente d’un taux évalué dans les conditions mentionnées à l’article L.434-2 et au moins égal à un pourcentage déterminé.
Dans les cas mentionnés aux deux alinéas précédents, la caisse primaire reconnaît l’origine professionnelle de la maladie après avis motivé d’un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles. La composition, le fonctionnement et le ressort territorial de ce comité ainsi que les éléments du dossier au vu duquel il rend son avis sont fixés par décret. L’avis du comité s’impose à la caisse dans les mêmes conditions que celles fixées à l’article L.315-1 [L.315-2].
Les pathologies psychiques peuvent être reconnues comme maladies d’origine professionnelle, dans les conditions prévues aux septième et avant-dernier alinéas du présent article. Les modalités spécifiques de traitement de ces dossiers sont fixées par voie réglementaire.»
L’article L.452-1 du code de la sécurité sociale dispose que, lorsque l’accident est dû à la faute inexcusable de l’employeur ou de ceux qu’il s’est substitué dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire dans les conditions définies aux articles suivants.
Il est constant que le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver (Civ.2e, 08 octobre 2020 18-25.021 et 18-26.677).
L’obligation légale de sécurité et de protection de la santé pesant sur l’employeur lui impose, conformément à l’article L.4121-1 du code du travail, de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, ces mesures comprenant notamment des actions de prévention des risques professionnels, des actions d’information et de formation, et la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
L’article L.4121-2 du code du travail précise que l’employeur doit mettre en oeuvre les mesures en question sur le fondement des principes généraux de prévention suivants:
1° éviter les risques;
2° évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités;
3° combattre les risques à la source;
4° adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé;
5° tenir compte de l’état d’évolution de la technique;
6° remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux;
7° planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu’ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1, ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis à l’article L. 1142-2-1;
8° prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle;
9° donner les instructions appropriées aux travailleurs.
Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait ou non été la cause déterminante de l’accident ou de la maladie subis par le salarié. Il suffit qu’elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l’employeur soit engagée, alors même que d’autres fautes auraient concouru au dommage, dont la faute de la victime (Cass.ass.plén. 22 juin 2005, 03-30.038).
Sauf dans le cas prévu par l’article L.4131-4 du code du travail, il appartient au salarié agissant en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur de rapporter la preuve d’une telle faute, en démontrant que ce dernier avait conscience ou aurait dû avoir conscience du danger, et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver (Civ.2e, 08 juillet 2004, 02-30.984).
En l’espèce, pour écarter l’existence d’une faute inexcusable imputable à l’employeur, le tribunal a retenu en substance que, s’il était établi que la charge de travail demandée aux délégués de tutelle de l’association, dont Mme [D], était importante, et que la maladie professionnelle de cette dernière était liée à son activité professionnelle et à sa charge de travail, il n’était pas démontré que l’employeur avait eu conscience du danger auquel la salariée a été exposée, dans un contexte où l’ensemble du service connaissait une activité importante et stressante, dans un secteur dont les difficultés sont inhérentes à la mission de prise en charge d’un public fragilisé et potentiellement dangereux.
A l’appui de son appel, sur ce point, Mme [D] expose que la faute de son employeur est caractérisée en ce qu’il n’a pas pris les mesures visées par les articles L.4121-1 à L.4121-4 du code du travail, s’agissant d’actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail, d’actions d’information et de formation, de la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés, et de l’absence de document unique d’évaluation des risques, dont les risques psychosociaux.
Par ailleurs elle invoque le fait que son employeur connaissait sa fragilité psychologique, en ce qu’elle avait antérieurement, le 11 février 2008, été victime d’une agression dans le cadre de son travail qui avait entraîné un arrêt de travail de 18 mois et dont elle avait conservé une incapacité de 5%, et qu’elle avait à nouveau été victime d’une agression en 2013, les deux faits ayant été qualifiés d’accidents du travail. Elle expose qu’elle a bénéficié de mai à octobre 2015 d’un stage pour accéder à des fonctions d’encadrement, qu’à son retour en novembre 2015, malgré sa fragilité psychologique découlant de ses accidents du travail, lui a été attribuée une charge de travail importante en raison du départ de la chef de service, s’agissant des dossiers de 65 majeurs protégés parmi les plus difficiles, qu’elle a dû vérifier tous ses dossiers qui avaient été pendant son absence confiés à une collègue débutante, et qu’elle a dû apprendre les protocoles mis en place pendant son absence, qui ne lui avaient pas été remis. Elle ajoute qu’en avril 2016 le poste de chef de service auquel elle avait postulé ne lui a pas été attribué.
Mme [D] soutient que son burn-out déclaré en juillet 2016, après un arrêt de travail prononcé fin avril 2016, est la conséquence des conditions de son retour en novembre 2015, et considère que ces circonstances caractérisent la faute inexcusable de l’employeur. Elle relève que le CRRMP a retenu que ces conditions de travail avaient abouti à une déstabilisation sévère de son état psychique et qu’il existait une relation causale directe et essentielle entre la pathologie ainsi déclarée et son activité professionnelle, et que les éléments médicaux confirmaient ce lien. Elle soutient que l’avis du Dr [W] établit que ses accidents du travail de 2008 et 2013 constituaient un état antérieur connu de l’employeur, qui n’ignorait donc pas son état de fragilité et aurait dû être attentif à son état de santé psychologique. Elle invoque le fait que le médecin du travail a noté à plusieurs reprises des difficultés particulières la concernant entre 2009 et 2013, et que l’audition de Mme [R], à l’époque directrice du service, établit qu’elle était chargée de dossiers complexes et difficiles. Elle invoque l’arrêt de la cour d’appel de Riom du 21 février 2023 infirmant partiellement un jugement de départage du conseil de prud’hommes de Moulins du 30 novembre 2020, disant qu’elle a été victime de harcèlement moral et annulant son licenciement, et des attestations établissant selon elle qu’elle s’est trouvée du fait de son employeur en situation difficile suite à son retour de stage en novembre 2015. Elle soutient donc que l’employeur avait connaissance de sa surcharge de travail et n’a pas pris les mesures nécessaires.
L’association [7], intimée, à l’appui de sa demande de confirmation du jugement sur ce point, expose que le premier juge a exactement apprécié les éléments du débat et critique les arguments avancés par Mme [D], soutenant qu’elle ignorait en sa qualité d’employeur avoir eu conscience d’un danger auquel sa salariée aurait été exposée. L’association expose que Mme [D] ne s’est jamais plainte auprès d’elle d’une surcharge de travail, et relève que l’avis du CRRMP établit l’existence d’un lien entre la maladie déclarée et les fonctions, mais n’implique pas nécessairement la conscience d’un danger par l’employeur et l’absence d’action de ce dernier. Elle soutient que l’avis en question ne fait pas état d’un surmenage ou d’une surcharge de travail, mais d’une charge importante. Elle se prévaut de l’audition de Mme [R] pour affirmer que des mesures ont été prises au regard de la situation de Mme [D]. Elle développe ensuite des arguments concernant les pièces produites par cette dernière, dont l’arrêt de la cour du 21 février 2023 concernant le contentieux prud’homal entre les parties.
La CPAM indique s’en remettre à la cour sur l’appréciation de la faute inexcusable imputée à l’association, et demande qu’il soit fait droit à ses demandes dans l’hypothèse où la faute serait reconnue.
SUR CE
Il est constant que la maladie dont est affectée Mme [D] n’est pas désignée dans un tableau de maladies professionnelles et a été reconnue comme étant d’origine professionnelle, ayant été essentiellement et directement causée par son travail habituel de gérante de tutelle salariée par l’association.
Il est constant que cette circonstance ne suffit pas à démontrer la faute inexcusable imputée à son employeur par Mme [D], à qui incombe la charge de démontrer d’une part que celui-là avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel elle était soumise, et d’autre part qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.
Il n’est pas contesté que Mme [D] se trouvait dans une situation de danger, qui s’est concrétisé par la survenance de la maladie professionnelle.
Il y a lieu de constater que, de mai à octobre 2015 inclus, Mme [D] n’exerçait pas à temps plein son activité de gérante de tutelle, puisqu’elle suivait un stage professionnel. Elle explique d’ailleurs que sa maladie professionnelle est la conséquence de sa surcharge de travail à compter de son retour de stage en novembre 2015, et de la dégradation de ses conditions de travail à compter de cette date, dans les conditions par elle exposées. Elle ajoute que cette situation est intervenue sur le terrain antérieur qu’elle présentait, découlant de ses accidents du travail en 2008 et 2013. Elle en déduit que son employeur n’ignorait pas son état de fragilité et aurait dû être particulièrement attentif à son état de santé psychologique, en ce qu’il avait nécessairement connaissance de sa situation de danger.
Néanmoins, comme le relève en substance l’association, il ne découle pas de ces éléments que, en sa qualité d’employeur, elle avait nécessairement connaissance de la situation de danger de Mme [D]. En effet, il est établi que celle-ci, au retour en novembre 2015 d’un stage professionnel destiné à accéder à des fonctions d’encadrement, a postulé le 06 février 2016 à des fonctions de ce type, qui lui ont été refusées en avril 2016, quelques jours avant l’arrêt de travail à l’occasion duquel a été constaté la maladie ensuite prise en charge au titre de la législation professionnelle.
Or, il est manifeste que ces circonstances ne sont pas par elles-mêmes, à elles seules, révélatrices d’une situation de souffrance professionnelle, l’employeur ayant, comme il le soutient, légitimement pu penser que la salariée en question se considérait en mesure d’assumer ses fonctions actuelles puisqu’elle demandait des fonctions impliquant nécessairement plus de responsabilités, ce d’autant que le bilan de stage d’octobre 2015 est positif et ne laisse apparaître aucune fragilité de Mme [D], non plus que sa lettre de candidature à un poste de direction le 06 février 2016.
L’employeur, comme il le soutient, a également pu penser, au regard de ces éléments, que les accidents du travail subis par Mme [D] plusieurs années avant la période en question, le premier étant survenu huit ans avant le burn-out, et le second trois ans avant, n’impliquaient pas nécessairement qu’elle présentait une fragilité particulière au retour d’un stage professionnel destiné à accéder à des responsabilités supérieures.
Mme [D] invoque ensuite les remarques du médecin du travail la concernant. Or, il ressort des documents qu’elle produit que ces remarques ont pour la plupart été formulées entre 2002 et février 2015, soit avant la période au cours de laquelle la faute inexcusable alléguée aurait été commise. Il apparaît que l’unique mention portée pendant cette période, en mars 2016, se borne à indiquer que Mme [D] est apte, qu’elle consomme du tabac, et que le suivi gynécologique est à faire.
Le refus d’un congé individuel de formation en 2006, dix ans avant la maladie, et alors que Mme [D] a bénéficié d’un stage de longue durée en 2015, ne constitue pas un élément pertinent.
Les éléments invoqués par Mme [D] établissant l’origine professionnelle de la maladie, tels l’avis du CRRMP, les conclusions du Dr [W], le certificat du Dr [M], le certificat du Dr [G], qui l’ont examiné préalablement à cet avis, ne démontrent pas, par eux-mêmes, l’existence de la faute inexcusable, d’autant qu’ils ne font état d’aucun élément relatif à ce point.
L’attestation de son compagnon de l’époque confirme le mal-être de Mme [D] en lien avec son activité professionnelle à compter du début de l’année 2016, mais ne fait pas mention d’éléments permettant de penser que l’employeur avait connaissance de ces difficultés et de ce ressenti de sa salariée.
Les coupures de presse faisant état d’un conflit syndical au sein de l’association, portant sur des faits de l’année 2017, n’apportent pas d’éclairage sur la situation de Mme [D], ni sur la période des faits.
Les attestations de Mme [O] et Mme [C] confirment l’orgine professionnelle de la maladie de Mme [D], mais ne font pas état d’éléments précis survenus entre novembre 2015 et avril 2016 en lien avec la faute inexcusable alléguée.
L’arrêt de la cour d’appel de Riom du 21 février 2023, invoqué par Mme [D], infirme partiellement un jugement du conseil de prud’hommes de Moulins du 30 novembre 2020 pour prononcer la nullité du licenciement de Mme [D] au motif de l’existence d’un harcèlement moral, caractérisé d’une part par l’existence d’un surmenage découlant d’une surcharge de travail et d’autre part par le rejet des candidatures de l’intéressée à des postes d’encadrement. Ces éléments matériels ne sont pas distincts des éléments évoqués dans la présente procédure et, bien qu’ils aient été retenus comme caractérisant des faits de harcèlement moral, ne peuvent être considérés comme démontrant nécessairement de ce fait une faute inexcusable de l’employeur, la cour ayant d’ailleurs rappelé par son arrêt en question le principe d’autonomie du droit du travail et du droit social, en application duquel la juridiction de sécurité sociale n’est pas liée par la décision du juge prud’homal.
Enfin, le fait, non contesté par Mme [D], qu’elle n’a jamais informé son employeur de la fragilité qu’elle déclare avoir ressenti à cette époque, s’il ne dispensait pas l’employeur de ses obligations à son égard, s’analyse néanmoins comme un élément confirmant que la situation de danger de Mme [D] a pu rester ignorée de son employeur, en l’absence d’autres éléments de nature à l’alerter.
En conséquence, Mme [D] ne démontrant pas la faute inexcusable qu’elle impute à son employeur, comme l’a retenu le premier juge, le jugement sera confirmé en ce qu’il l’a déboutée de sa demande en ce sens et des demandes subséquentes d’expertise, de provision, et d’indemnité en application de l’article 700 du code de procédure civile. Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu’il a déclaré sans objet les demandes de la CPAM.
Sur les dépens
En application de l’article 696 du code de procédure civile, le tribunal a condamné Mme [D] aux dépens de l’instance. Le jugement étant confirmé sur le fond, sera confirmé en ce qui concerne les dépens. Mme [D], partie perdante, sera condamnée aux dépens d’appel.
Sur les demandes présentées en application de l’article 700 du code de procédure civile
L’article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer:
1° à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens;
2° et, le cas échéant, à l’avocat du bénéficiaire de l’aide juridictionnelle partielle ou totale une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l’aide aurait exposés s’il n’avait pas eu cette aide. Dans ce cas, il est procédé comme il est dit aux alinéas 3 et 4 de l’article 37 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991.
Mme [D] supportant les dépens, sera déboutée de sa demande présentée sur le fondement de ce texte.
L’équité ne commande pas qu’il soit fait droit à la demande présentée par l’association sur ce fondement au titre des frais exposés en première instance et en appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,
– Déclare recevable l’appel relevé par Mme [D] à l’encontre du jugement n°18/1431 prononcé le 28 juin 2021 par le pôle social du tribunal judiciaire de Moulins,
– Confirme le jugement en toutes ses dispositions soumises à la cour,
Y ajoutant:
– Déboute Mme [D] de ses demandes présentées à la cour, dont sa demande présentée sur fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamne Mme [D] aux entiers dépens d’appel,
– Déboute l’association [7] de sa demande présentée sur fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Ainsi fait et prononcé le 28 novembre 2023 à Riom.
Le greffier, Le président,
S. BOUDRY C. VIVET