Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 24 septembre 2020, 18-26.155, Inédit
Cour de cassation – Chambre civile 2
- N° de pourvoi : 18-26.155
- ECLI:FR:CCASS:2020:C200787
- Non publié au bulletin
- Solution : Cassation partielle
Décision attaquée : Cour d’appel de Montpellier, du 24 octobre 2018
Texte intégral
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
CIV. 2
CM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 24 septembre 2020
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 787 F-D
Pourvoi n° B 18-26.155
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 24 SEPTEMBRE 2020
La société H… construction, société à responsabilité limitée, dont le siège est […] , a formé le pourvoi n° B 18-26.155 contre l’arrêt rendu le 24 octobre 2018 par la cour d’appel de Montpellier (4e B chambre sociale), dans le litige l’opposant :
1°/ à M. T… W…, domicilié […] ,
2°/ à la société Axa assurance, société anonyme, dont le siège est […] ,
3°/ à la caisse primaire d’assurance maladie de l’Aude, dont le siège est […] ,
défendeurs à la cassation.
M. W… a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l’appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le demandeur au pourvoi incident invoque, à l’appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Palle, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de la société H… construction, de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat de M. W…, et l’avis de Mme Ceccaldi, avocat général, après débats en l’audience publique du 10 juin 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Palle, conseiller référendaire rapporteur, M. Prétot, conseiller doyen, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Montpellier, 24 octobre 2018), M. W… (la victime), salarié de la société H… constructions (l’employeur), a été victime, le 19 février 2009, d’une chute alors qu’il descendait d’une toiture par une échelle. La caisse primaire d’assurance maladie de l’Aude (la caisse) ayant pris en charge cet accident au titre de la législation professionnelle et lui ayant attribué une rente, la victime a saisi une juridiction de sécurité sociale d’une action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi principal, ci-après annexé
2. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen du pourvoi incident
Enoncé du moyen
Réponse de la Cour
Vu l’article L. 453-1, alinéa 2, du code de la sécurité sociale :
4. Présente le caractère d’une faute inexcusable de la victime au sens de ce texte, la faute volontaire d’une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience.
5. Pour dire que la victime a commis une faute inexcusable, l’arrêt retient que le jour de l’accident, le salarié a de sa propre initiative ramassé des tuiles défectueuses sur le toit et les a transportées sur son épaule pour les descendre en passant par l’échelle, alors qu’en raison de son expérience et de ses compétences, il ne pouvait ignorer le danger que pouvait représenter une telle manoeuvre et qu’il existait d’autres moyens au sein de l’entreprise lui permettant d’exécuter ces travaux en toute sécurité. En agissant ainsi, de sa propre autorité, sans raison valable, le salarié a commis une faute volontaire, d’une exceptionnelle gravité, l’exposant à un danger dont il aurait du avoir conscience.
6. En statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser une faute inexcusable du salarié victime, la cour d’appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi principal,
CASSE ET ANNULE, mais seulement des chefs relatifs à la faute inexcusable du salarié victime et au rejet de la demande de majoration de rente, l’arrêt rendu le 24 octobre 2018, entre les parties, par la cour d’appel de Montpellier ;
Remet, sur ces points, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Nîmes ;
Condamne la société H… construction aux dépens ;
En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société H… construction et la condamne à payer à M. W… la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé et signé par le président et M. Prétot, conseiller doyen, en ayant délibéré, conformément aux dispositions des articles 452 et 1021 du code de procédure civile, en remplacement du conseiller référendaire rapporteur empêché, en l’audience publique du vingt-quatre septembre deux mille vingt. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyen produit au pourvoi principal par la SCP Gadiou et Chevallier, avocat aux Conseils, pour la société H… construction
Le moyen fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR dit que la SARL H… avait commis une faute inexcusable à l’origine de l’accident du travail dont M. T… W… a été victime et d’AVOIR, en conséquence, avant dire droit fixé à 3000 euros la provision à valoir sur l’indemnisation des préjudices subis par M. W… ;
AUX MOTIFS PROPRES QU’en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers celui-ci d’une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les accidents du travail et le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable, au sens de l’article L 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver ; que c’est au salarié qu’il appartient de rapporter la preuve que l’employeur avait, ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il était exposé et de l’absence des mesures de protection nécessaires ; que bien évidemment, pour ouvrir droit à indemnisation, la faute inexcusable ainsi invoquée doit être la cause, ou l’une des causes nécessaires, de l’accident ou de la maladie, ce qu’il appartient donc également au salarié victime de démontrer ; qu’en l’espèce, il est constant que le salarié, qui devait inspecter une toiture à la demande de son employeur est tombé de l’échelle, en redescendant, faisant ainsi une chute d’environ six mètres ; qu’il est également établi qu’il n’était équipé d’aucun élément de sécurité ; qu’en demandant au salarié de grimper sur une échelle pour inspecter une toiture, l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il était exposé et n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver ; que la décision déférée qui a jugé que l’employeur a commis une faute inexcusable sera donc confirmée ;
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QU’en l’espèce, la SARL H… explique que M. W… a de sa propre initiative décidé de descendre du toit chargé de tuiles défectueuses, alors qu’il devait seulement inspecter l’état de la toiture et évaluer le nombre de tuiles à remplacer, « qu’il a donc abordé l’échelle avec seulement une main libre, l’autre retenant les tuiles sur son épaule et a été déséquilibré au moment du passage du bas de versant de toiture cers l’échelle, celle-ci dépassant d’au moins un mètre (les deux versants étant déployés) » ; que l’employeur ne précise pas en revanche les dispositions prises pour éviter les chutes, alors que s’impose, lors de la réalisation de tous travaux en hauteur, la mise en place de protection individuelles ou collectives ; qu’en l’absence d’installation d’une quelconque protection, l’employeur ne pouvait donc légitimement ignorer le danger auquel était exposé tout salarié appelé à monter sur la toiture ; que la faute inexcusable de l’employeur (
) est donc caractérisée en l’espèce et constitue manifestement l’une des causes de l’accident ;
1°) ALORS QUE le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat a le caractère d’une faute inexcusable, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver ; que la faute inexcusable ne peut donc être retenue lorsque le danger ne résulte que de la seule initiative du salarié, imprévisible pour l’employeur ; qu’en l’espèce, la société H… avait soutenu que, alors que M. W… avait reçu pour seule instruction de vérifier la toiture, il avait, de sa propre initiative, transporté des tuiles sur son épaule, sans qu’aucun matériel nécessaire à la réalisation du chantier n’était déployé ; qu’après avoir relevé que le salarié devait seulement « inspecter une toiture », la cour d’appel a retenu la faute inexcusable de l’employeur ; qu’en statuant de la sorte, sans préciser à quel danger le salarié, tenu de vérifier l’état du voligeage, était exposé, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L.452-1 du code de la sécurité sociale ;
2°) ALORS QUE la société H… soutenait que, à la date de l’accident, M. W… n’avait reçu instruction que d’inspecter l’état du voligeage et d’évaluer le nombre de tuiles à remplacer, l’exclusion de tous travaux à réaliser justifiant l’absence de dispositif spécifique de protection ; qu’après avoir rappelé qu’un dispositif de protection s’impose pour la « réalisation de travaux en hauteur », la cour d’appel a retenu la faute inexcusable de l’employeur pour n’avoir pas installé une « quelconque protection » ; qu’en statuant ainsi, après avoir pourtant constaté que M. W… « devait inspecter une toiture » sans réaliser de travaux, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et, partant, a violé l’article L.452-1 du code de la sécurité sociale.
Moyen produit au pourvoi incident par la SCP Marlange et de La Burgade, avocat aux Conseils, pour M. W…
Le moyen reproche à l’arrêt attaqué d’AVOIR dit que M. T… W… avait commis une faute inexcusable susceptible de conduire à la réduction de la majoration de la rente due en cas de faute inexcusable de l’employeur,
AUX MOTIFS QUE « selon l’article L.4122-1 du code du travail, il incombe à chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité, ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail ; que la faute inexcusable de la victime se caractérise comme étant une faute volontaire, d’une exceptionnelle gravité, exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience ; pour établir que le salarié a commis une faute inexcusable, l’employeur verse au dossier les éléments suivants : – l’attestation de M. I… F… rédigée en ces termes : « Mon employeur m’a envoyé à […] chez M et Mme V… pour un chantier de réparation de dégâts sur leur toiture suite à une tempête de vent. M. W… était monté sur la toiture avec moi afin d’évaluer l’ampleur des dégâts et permettre de faire le devis et préparer le matériel nécessaire. Il est monté, comme moi, sur le toit par une échelle arrimée s’agissant d’une simple évaluation de chantier. Alors que j’étais sur la toiture, M. W… a pris l’initiative sans rien me demander ni même que je ne lui demande rien, de ramasser des tuiles qui étaient décrochées et de les transporter sur son épaule en passant par l’échelle qui ne constitue qu’un point d’accès et non pas un moyen de convoyer des matériaux » – le devis en date du 22 février 2009 qu’il a établi concernant le chantier de M. et Mme V… prévoyant la mise en place d’un échafaudage d’un monte matériaux, ainsi que la facture du 27 février 2009 correspondante ; – le curriculum vitae du salarié duquel il ressort que depuis 2004, il exerçait une activité d’ouvrier maçons et que de septembre 2005 à février 2006, il avait bénéficié d’une formation chef d’équipe gros-oeuvre. Il s’évince de ces différents éléments que le jour de l’accident, le salarié a de sa propre initiative ramassé des tuiles défectueuses sur le toit et les a transportées sur son épaule pour les descendre en passant par l’échelle. Or le salarié, en raison de son expérience et de ses compétences, ne pouvait pas ignorer le danger que pouvait représenter une telle manoeuvre, alors qu’il existait d’autres moyens au sein de l’entreprise lui permettant d’exécuter ces travaux en toute sécurité. En agissant ainsi, de sa propre autorité, sans raison valable, le salarié a commis une faute volontaire, d’une exceptionnelle gravité, l’exposant à un danger dont il aurait dû avoir conscience. Il convient par conséquent de retenir la faute inexcusable de la victime. en application de l’article L 453-1 alinéa 1er du code de sécurité sociale, la faute inexcusable du salarié peut seulement conduire à la réduction de la majoration de la rente due en cas de faute inexcusable de l’employeur ; il convient par conséquent de réformer la décision déférée qui a écarté la faute inexcusable du salarié et invité ce dernier à conclure sur la majoration de la rente prévue à l’article L 452-2 du code de sécurité sociale » (arrêt attaqué, pp. 6 et 7) ;
ALORS QUE la faute inexcusable de la victime est une faute volontaire d’une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience ; qu’en affirmant que le salarié victime aurait commis une telle faute, aux motifs qu’il avait « de sa propre initiative ramassé des tuiles défectueuses sur le toit et les a transportées sur son épaule pour les descendre en passant par l’échelle » et qu’« en raison de son expérience et de ses compétences (il) ne pouvait pas ignorer le danger que pouvait représenter une telle manoeuvre, alors qu’il existait d’autres moyens au sein de l’entreprise lui permettant d’exécuter ces travaux en toute sécurité », sans toutefois caractériser ainsi une faute volontaire d’une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L453-1 du code de la sécurité sociale.ECLI:FR:CCASS:2020:C200787