ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 NOVEMBRE 2023
1°/ à Mme [J] [C], domiciliée [Adresse 2], prise tant en son nom personnel qu’en qualité de tutrice de ses enfants mineurs, [E] et [O] [C],
2°/ à Mme [Y] [C], domiciliée [Adresse 3],
3°/ à la caisse primaire d’assurance maladie des Hauts-de-Seine, dont le siège est [Adresse 5],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Labaune, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société [4], de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mme [J] [C], tant en son nom personnel qu’en qualité de tutrice de ses enfants mineurs, [E] et [O] [C], de Mme [Y] [C], et après débats en l’audience publique du 3 octobre 2023 où étaient présents Mme Martinel, président, M. Labaune, conseiller référendaire rapporteur, Mme Renault-Malignac, conseiller doyen, et Mme Catherine, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Déchéance du pourvoi, en ce qu’il est dirigé contre l’arrêt du 22 novembre 2018, examinée d’office
1. Après avis donné aux parties conformément à l’article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l’article 978 du même code.
2. Il résulte de ce texte qu’à peine de déchéance du pourvoi, le demandeur en cassation doit, au plus tard dans le délai de quatre mois à compter du pourvoi, remettre au greffe de la Cour de cassation un mémoire contenant les moyens de droit invoqués contre la décision attaquée.
3. Le mémoire en demande de la société [4] ne contenant aucun moyen de droit contre l’arrêt du 22 novembre 2018, il y a lieu de constater la déchéance de son pourvoi en ce qu’il est formé contre cette décision.
Faits et procédure
5. Les ayants droit de la victime ont saisi une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur.
Examen du moyen
6. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
Réponse de la Cour
9. Le moyen n’est, dès lors, pas fondé.
Sur le moyen, pris en ses deuxième et quatrième branches
Enoncé du moyen
« 2°/ qu’il incombe à la victime d’un accident du travail de rapporter la preuve de la conscience du danger et de l’absence de mesure de prévention suffisante par l’employeur ; que la faute inexcusable doit être une cause nécessaire de l’accident et qu’aucune faute inexcusable n’est susceptible d’être caractérisée lorsque les circonstances de l’accident sont indéterminées ; qu’au cas présent, la société employeur faisait valoir que le vol ne résultait pas d’un scénario acrobatique et spectaculaire mais avait été programmé par des feuilles de services et un plan caméra établis par la production, par un plan logistique établi par M. [H] [M] et avait fait l’objet d’un plan de vol établi par les pilotes qui étaient seuls responsables de la sécurité en vol ; qu’elle faisait valoir qu’elle n’avait pu ni interférer dans les décisions prises, ni influencer les pilotes des deux hélicoptères s’agissant de l’élaboration des plans de vol et des différentes manoeuvres à effectuer lors de leurs rotations ; qu’elle exposait, par ailleurs, qu’il n’était pas démontré que les pilotes aient prévu un plan de vol dans lequel les aéronefs volaient à faible distance, le rapport de la [7] ayant à cet égard relevé que la distance des trajectoires des deux hélicoptères était de 90-100 mètres ; qu’elle faisait encore valoir qu’au regard des contraintes techniques, il n’était pas possible de filmer les participants, qui se trouvaient dans un hélicoptère dont la porte était fermée, depuis un autre hélicoptère, qu’un caméraman se trouvait dans l’hélicoptère des participants pour les filmer et que si la thèse d’une prise de vue depuis un autre hélicoptère devait être confirmée, elle induisait la nécessité de se maintenir à distance pour pouvoir prendre des plans entiers de l’autre hélicoptère ; qu’en jugeant néanmoins, pour caractériser la faute inexcusable de l’employeur, que la société employeur aurait décidé d’organiser un vol en formation rapprochée en ce sens que les hélicoptères devaient effectuer un vol à faible/très faible distance l’un de l’autre, sans relever le moindre élément établissant l’existence d’une telle décision, ni la moindre instruction en ce sens de la part de la société employeur, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale ;
4°/ que la conscience du danger et le caractère suffisant des mesures prises par l’employeur pour préserver la sécurité de ses salariés s’apprécient au regard du comportement d’un employeur normalement diligent ; qu’au cas présent, la société employeur faisait valoir qu’elle était un professionnel de l’audiovisuel et non de l’aviation civile et que, n’étant pas en mesure d’appréhender elle-même les risques liés à l’utilisation d’hélicoptères, elle s’était précisément entourée de professionnels compétents ; qu’elle faisait ainsi valoir que, s’agissant d’un tournage en Argentine, elle avait conclu un contrat avec la société [8], importante société de production audiovisuelle argentine, confiant à cette dernière la réalisation de prestations techniques locales dans le respect de la réglementation locale en matière de sécurité ; qu’elle faisait, surtout, valoir que, pour l’ensemble des aspects tenant à la sécurité des salariés et des participants au programme et notamment les vols en hélicoptère, elle avait confié à la société [6] et à son dirigeant M. [H] [M], professionnel hautement spécialisé et expérimenté, une mission complète afin d’assurer la sécurité du tournage impliquant notamment de s’assurer de l’application des bonnes procédures pour chaque expédition, particulièrement l’organisation de la sécurité des vols ; qu’elle exposait, enfin, que les caractéristiques techniques des hélicoptères et les compétences des pilotes lui garantissaient un niveau de sécurité optimal ayant permis une préparation des vols conforme au respect des règles de sécurité ; qu’en refusant d’examiner si la société employeur avait pris toutes les mesures possibles, au regard de ses connaissances, pour s’assurer de la sécurité des vols au motif inopérant que les sociétés [8] et [6] « demeuraient sous la supervision, la direction et le contrôle de [l’employeur], dont le directeur de production, [S] [I], se trouvait sur place », la cour d’appel a violé l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale. »
Réponse de la Cour
12. L’employeur ne peut s’affranchir de son obligation de sécurité par la conclusion d’un contrat prévoyant qu’un tiers assurera cette sécurité.
13. L’arrêt relève que l’employeur a pris la décision d’organiser le vol des deux hélicoptères en formation rapprochée, les aéronefs devant effectuer un vol à faible distance l’un de l’autre. Il constate que l’organisation de ce vol correspond à un scénario défini par l’employeur qui souhaitait réaliser des prises de vues de ce vol dans le cadre du tournage de l’émission de télévision. Il estime que le vol en formation des hélicoptères transportant des passagers représentait un risque, que l’employeur a choisi de prendre, et qui se trouve à l’origine directe et certaine de la collision entre les appareils ayant entraîné le décès de la victime.
14. L’arrêt ajoute que l’employeur pouvait prendre des mesures pour préserver les passagers de l’accident, en excluant la possibilité d’un vol en formation des hélicoptères ou en modifiant leurs trajectoires de vol. Il considère qu’en l’absence de vol d’essai sans passagers, de vérification de l’existence d’un moyen de communication entre les aéronefs ou entre ces derniers et le sol, ou de mention d’un risque de collision dans le plan de sécurité et de sûreté, l’employeur n’a pas pris les précautions qui s’imposaient. Il retient que les sociétés tierces qui sont intervenues pour assurer les prestations techniques et de sécurité demeuraient sous la supervision, la direction et le contrôle de l’employeur.
15. De ces constatations et énonciations, procédant de son appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve débattus devant elle, la cour d’appel a pu déduire que l’employeur, qui avait ou aurait dû avoir conscience du danger résultant pour son salarié du vol en formation rapprochée de l’hélicoptère dont il était passager et qui n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver, a commis une faute inexcusable.
16. Le moyen n’est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi en ce qu’il est dirigé contre l’arrêt rendu le 27 mai 2021 par la cour d’appel de Versailles.
Condamne la société [4] aux dépens ;
En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société [4] et la condamne à payer aux consorts [C] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize novembre deux mille vingt-trois. ECLI:FR:CCASS:2023:C201139