Société EDF [Recours de l’employeur contre une expertise décidée par le CHSCT]
Cons. const., déc., 13 oct. 2017, n° 2017-662 QPC
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 18 juillet 2017 par la Cour de cassation (chambre sociale, arrêt n° 2146 du 13 juillet 2017), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société Électricité de France (EDF) par la SCP Célice, Soltner, Texidor, Périer, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-662 QPC.
Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article L. 4614-13 du code du travail, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.
Au vu des textes suivants :
– la Constitution ;
– l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
– le code du travail ;
– la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels ;
– le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
– les observations présentées pour le requérant par la SCP Célice, Soltner, Texidor, Périer, enregistrées les 8 et 21 août 2017 ;
– les observations présentées pour l’association Émergences et autres, parties en défense, par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, enregistrées les 9 et 24 août 2017 ;
– les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 9 août 2017 ;
– les observations en intervention présentées pour le syndicat des experts agréés CHSCT par la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, Coudray, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, enregistrées le 8 août 2017 ;
– les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Damien Célice, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour la société requérante, Me Antoine Lyon-Caen, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour les parties en défense, Me Hélène Masse-Dessen, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour la partie intervenante, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l’audience publique du 3 octobre 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L’article L. 4614-13 du code du travail, dans sa rédaction résultant de la loi du 8 août 2016 mentionnée ci-dessus, prévoit : « Lorsque l’expert a été désigné sur le fondement de l’article L. 4614-12-1, toute contestation relative à l’expertise avant transmission de la demande de validation ou d’homologation prévue à l’article L. 123357-4 est adressée à l’autorité administrative, qui se prononce dans un délai de cinq jours. Cette décision peut être contestée dans les conditions prévues à l’article L. 1235-7-1.
« Dans les autres cas, l’employeur qui entend contester la nécessité de l’expertise, la désignation de l’expert, le coût prévisionnel de l’expertise tel qu’il ressort, le cas échéant, du devis, l’étendue ou le délai de l’expertise saisit le juge judiciaire dans un délai de quinze jours à compter de la délibération du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou de l’instance de coordination mentionnée à l’article L. 4616-1. Le juge statue, en la forme des référés, en premier et dernier ressort, dans les dix jours suivant sa saisine. Cette saisine suspend l’exécution de la décision du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou de l’instance de coordination mentionnée à l’article L. 4616-1, ainsi que les délais dans lesquels ils sont consultés en application de l’article L. 4612-8, jusqu’à la notification du jugement. Lorsque le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou l’instance de coordination mentionnée au même article L. 4616-1 ainsi que le comité d’entreprise sont consultés sur un même projet, cette saisine suspend également, jusqu’à la notification du jugement, les délais dans lesquels le comité d’entreprise est consulté en application de l’article L. 2323-3.
« Les frais d’expertise sont à la charge de l’employeur. Toutefois, en cas d’annulation définitive par le juge de la décision du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou de l’instance de coordination, les sommes perçues par l’expert sont remboursées par ce dernier à l’employeur. Le comité d’entreprise peut, à tout moment, décider de les prendre en charge dans les conditions prévues à l’article L. 2325-41-1.
« L’employeur ne peut s’opposer à l’entrée de l’expert dans l’établissement. Il lui fournit les informations nécessaires à l’exercice de sa mission.
« L’expert est tenu aux obligations de secret et de discrétion définies à l’article L. 4614-9 ».
2. Selon la société requérante, ces dispositions méconnaîtraient le droit à un recours juridictionnel effectif dans la mesure où elles ne permettraient pas à un employeur de contester utilement la décision d’un comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ordonnant une expertise sur le fondement de l’article L. 4614-12 du code du travail ou les modalités de cette expertise. En effet, en prévoyant que l’employeur doit saisir le juge dans un délai de quinze jours à compter de la délibération du comité décidant l’expertise, sans lui imposer d’en fixer, dans sa délibération, le coût prévisionnel, l’étendue ou le délai, ou de porter à la connaissance de l’employeur ces éléments dans le délai précité, ces dispositions priveraient l’employeur de tout droit à un recours juridictionnel effectif.
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « dans un délai de quinze jours à compter de la délibération du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou de l’instance de coordination mentionnée à l’article L. 4616-1 » figurant à la première phrase du deuxième alinéa de l’article L. 4614-13 du code du travail.
4. Aux termes de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Est garanti par cette disposition le droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif.
5. En application de l’article L. 4614-12 du code du travail, le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou l’instance de coordination mentionnée à l’article L. 4616-1 du même code peut faire appel à un expert agréé en cas de risque grave constaté dans l’établissement ou en cas de projet important modifiant les conditions de santé, de sécurité ou de travail. En application du deuxième alinéa de l’article L. 4614-13 du même code, l’employeur peut former un recours devant le juge judiciaire afin de contester la nécessité de l’expertise, la désignation de l’expert, le coût prévisionnel, l’étendue ou le délai de l’expertise, à condition d’agir dans un délai de quinze jours à compter de la délibération du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou de l’instance de coordination. Le juge statue alors, en la forme des référés, en premier et dernier ressort, dans les dix jours suivant sa saisine.
6. D’une part, en vertu de l’article L. 4614-13-1 du code du travail, l’employeur peut contester le coût final de l’expertise décidée par le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail devant le juge judiciaire, dans un délai de quinze jours à compter de la date à laquelle il a été informé de ce coût. Dès lors, à la supposer établie, l’impossibilité pour l’employeur de contester le coût prévisionnel de cette expertise ne constitue pas une méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif.
7. D’autre part, il résulte de l’article L. 4614-13 du code du travail qu’il appartient au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou à l’instance de coordination, lorsque l’un ou l’autre décide de faire appel à un expert agréé, de déterminer par délibération l’étendue et le délai de cette expertise ainsi que le nom de l’expert. Dès lors, en prévoyant que l’employeur dispose d’un délai de quinze jours à compter de la délibération pour contester la nécessité de l’expertise, son étendue, son délai ou l’expert désigné, le législateur n’a pas méconnu le droit à un recours juridictionnel effectif.
8. Les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent donc être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. – Les mots « dans un délai de quinze jours à compter de la délibération du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou de l’instance de coordination mentionnée à l’article L. 4616-1 » figurant à la première phrase du deuxième alinéa de l’article L. 4614-13 du code du travail, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, sont conformes à la Constitution.
Article 2. – Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 12 octobre 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole M