jurisprudence

Déclaration d’un accident de service consécutif à un stress « majeur » subi au travail

Références

CAA de MARSEILLE 

N° 17MA04374    
Inédit au recueil Lebon 
9ème chambre – formation à 3
Mme HELMLINGER, président
Mme Marie-Claude CARASSIC, rapporteur
M. ROUX, rapporteur public
W., J.-L. & R. LESCUDIER – AVOCATS, avocats

lecture du mardi 11 décembre 2018

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 


 

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B… A…a demandé au tribunal administratif de Montpellier de reconnaître l’imputabilité au service de l’accident dont elle a été victime le 25 janvier 2016.

Par une ordonnance n° 1605129 du 20 septembre 2017, le président de la 1ère chambre du tribunal administratif de Montpellier a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 14 novembre 2017, Mme A…, représentée par la société d’avocats W. et R. Lescudier, demande à la Cour :

1°) d’annuler cette ordonnance du 20 septembre 2017 ;

2°) d’annuler l’arrêté du 2 août 2016 par lequel le président du conseil départemental de l’Aude a refusé d’admettre l’imputabilité au service de son accident du 25 janvier 2016, ensemble la décision du 18 octobre 2016 rejetant son recours gracieux ;

3°) d’enjoindre au département de l’Aude de « tirer toutes les conséquences » de la reconnaissance de son accident en accident de service ;

4°) de mettre à la charge du département de l’Aude la somme de 2 200 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative au titre de ses frais de première instance et d’appel.

Elle soutient que :
-sa demande de première instance, qui permettait de comprendre ses conclusions et ses moyens, était recevable ; 
-à la suite d’une annonce brutale par sa hiérarchie lors d’un entretien le 25 janvier 2016 d’une modification importante de ses attributions, elle a présenté un état de stress post réactionnel ;
– cet accident survenu sur le lieu et dans le temps de service présente le caractère d’un accident de service ;
– la commission de réforme a émis le 6 juillet 2016 un avis favorable à cette imputabilité.

Par un mémoire en défense enregistré le 18 juin 2018, le département de l’Aude représenté par la Selarl d’avocats Jean-Pierre et Walgenwitz, conclut au rejet de la requête et à ce qu’il soit mis à la charge de Mme A… une somme de 900 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que la demande de première instance de Mme A… était irrecevable en application de l’article R. 411-1 du code de justice administrative et que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
– la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée portant droits et obligations des fonctionnaires ; 
– la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale ;
– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de Mme Carassic,
– les conclusions de M. Roux, rapporteur public,
– et les observations de Me C… représentant Mme A….

Considérant ce qui suit : 

1. Mme A…, adjoint territorial principal de deuxième classe des établissements d’enseignement en poste au collège Varsovie à Carcassonne, a demandé au tribunal administratif de Montpellier de reconnaître l’imputabilité au service de l’accident dont elle a été victime le 25 janvier 2016. Par l’ordonnance attaquée, le président de la 1ère chambre a rejeté, sur le fondement des 4° et 7° de l’article R. 222-1 du code de justice administrative, sa demande au motif qu’elle était entachée d’une irrecevabilité manifeste. La requérante relève appel de cette ordonnance.

Sur la régularité de l’ordonnance attaquée :

2. L’article R. 411-1 du code de justice administrative prévoit que :  » La juridiction est saisie par requête. La requête indique les nom et domicile des parties. Elle contient l’exposé des faits et moyens, ainsi que l’énoncé des conclusions soumises au juge. L’auteur d’une requête ne contenant l’exposé d’aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d’un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu’à l’expiration du délai de recours « .

3. Le premier juge, pour rejeter la demande présentée par Mme A… comme irrecevable au regard de l’article R. 411-1 du code de justice administrative, a relevé qu’à supposer même cette demande dirigée contre l’arrêté du 2 août 2015 ou la décision confirmative du 8 août 2016 du président du conseil départemental refusant de reconnaître l’imputabilité au service d’un accident survenu le 25 janvier 2016, la requérante n’a exposé aucun moyen de nature à venir au soutien de cette demande, ni dans sa demande introductive d’instance, ni dans des écritures ultérieures.

4. Toutefois, d’une part, la demande introductive d’instance de Mme A…, présentée sans ministère d’avocat et enregistrée le 6 octobre 2016 au greffe du tribunal administratif de Montpellier, indique comme objet  » recours contre l’arrêté du président du conseil départemental  » et précise  » par arrêté copie jointe du 2 août 2016 (…), l’accident dont j’ai été victime n’a pas été reconnu imputable au service « , la copie de cet arrêté ayant été effectivement jointe à sa demande. Ainsi cette demande énonçait des conclusions d’annulation de cet arrêté du 2 août 2016.

D’autre part, s’agissant de l’exposé des moyens, la requérante se référait dans cette demande à son recours gracieux du 22 août 2016, joint en annexe, formé auprès du président du conseil départemental et tendant au retrait de la décision du 8 août 2016 du directeur des ressources humaines du département de l’Aude confirmant le refus de prise en charge par l’administration de son accident en accident de service.

Dans ce recours gracieux, la requérante soutenait que la dégradation de son état de santé psychologique résultait de l’entretien qu’elle avait eu avec la hiérarchie de son collège le 21 janvier 2016 et du changement de ses obligations de service qui lui a été annoncé lors de cet entretien.

Elle exposait ainsi un moyen d’erreur de fait à l’appui de ses conclusions. Dès lors, sa demande ne méconnaissait pas les dispositions de l’article R. 411-1 du code de justice administrative.

Par suite, c’est à tort que le premier juge a rejeté comme irrecevable la demande dont il était saisi. L’ordonnance du 20 septembre 2017 doit dès lors être annulée.

5. Il y a lieu d’évoquer et, par là, de statuer en qualité de juge de première instance sur la demande présentée par Mme A… devant le tribunal administratif de Montpellier.

Sur les conclusions aux fins d’annulation du refus d’imputabilité au service de son accident :

6. Aux termes de l’article 57 de la loi du 26 janvier 1984 :  » Le fonctionnaire en activité a droit : (…) / 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l’intéressé dans l’impossibilité d’exercer ses fonctions.

Celui-ci conserve alors l’intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. (…) / Toutefois, si la maladie provient de l’une des causes exceptionnelles prévues à l’article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d’un accident survenu dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l’intégralité de son traitement jusqu’à ce qu’il soit en état de reprendre son service. (…) / Dans le cas visé à l’alinéa précédent, l’imputation au service de l’accident ou de la maladie est appréciée par la commission de réforme instituée par le régime des pensions des agents des collectivités locales « .

7. Un accident, qui se définit comme un évènement précisément déterminé et daté, survenu sur le lieu et dans le temps du service, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice par un fonctionnaire de ses fonctions ou d’une activité qui en constitue le prolongement normal présente, en l’absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant cet événement du service, le caractère d’un accident de service.

Le droit, prévu par les dispositions citées au point 4, de conserver l’intégralité du traitement est soumis à la condition que la maladie mettant l’intéressé dans l’impossibilité d’accomplir son service soit en lien direct, mais non nécessairement exclusif, avec un accident survenu dans l’exercice ou à l’occasion de ses fonctions.

Il appartient au juge administratif, saisi d’une décision de l’autorité administrative compétente refusant de reconnaître l’imputabilité au service d’un tel événement, de former sa conviction sur les points en litige au vu des éléments versés au dossier par les parties.

8. Il ressort des pièces du dossier que, le 21 janvier 2016, Mme A…, qui exerçait jusqu’alors depuis une vingtaine d’années des activités de sauveteur-secouriste à l’infirmerie du collège Varsovie à Carcassonne pour apporter les premiers soins aux élèves, en plus de ses fonctions de lingère, a été reçue par le principal et la gestionnaire de cet établissement et a appris soudainement lors de cet entretien la modification de son service, à savoir qu’elle n’occupera plus ses fonctions de secouriste et qu’elle effectuera, en plus de la majorité de son service à la lingerie, de nouvelles tâches d’entretien des locaux et de restauration des élèves. Un nouveau planning de service lui a été transmis le 25 janvier 2016 prenant effet le jour même. La requérante a déposé immédiatement une déclaration d’accident de travail initial et a bénéficié à compter de cette date d’un arrêt de travail jusqu’au 5 février 2016 établi par son médecin traitant qui mentionne comme constatation détaillée  » stress majeur suite à exclusion de son service, état d’angoisse, pleurs « , cet arrêt ayant été plusieurs fois renouvelé jusqu’au 8 août 2016 et son changement d’affectation à sa demande sur un autre poste du département. Le médecin expert, saisi à la demande du département, affirme dans son avis du 4 mai 2016 que la requérante n’a pas d’antécédents psychiatriques et confirme que l’accident survenu le 21 janvier 2016 sur son lieu de travail est imputable au service  » dans la mesure où l’état de souffrance mentale est en lien avec un évènement soudain et précis (convocation par le chef d’établissement qui prononce un changement d’affectation)  » et que les arrêts de travail justifiés de Mme A… du 25 janvier au 22 avril 2016 présentent un lien avec cet accident. Le psychiatre qui suit Mme A… en consultation indique dans son certificat médical du 29 juin 2016 que la requérante  » présente un état de stress post traumatique lié à un évènement survenu sur son lieu de travail  » et qu’elle  » ne peut en aucun cas reprendre un poste sur cet établissement « . Un autre psychiatre qui a pratiqué l’examen de Mme A…, le 30 septembre 2016, affirme que cette dernière ne présentait pas d’antécédents psychiatriques, qu’elle est  » en arrêt de travail depuis le 25 janvier 2016 suite à un état anxieux réactionnel déclenché par des facteurs professionnels  » et préconise une reprise de ses fonctions à 50 % pour une durée de trois mois. D’ailleurs, la commission de réforme, dans son avis du 6 juillet 2016 favorable à la reconnaissance de l’imputabilité de cet accident, indique  » stress majeur suite à exclusion de son service, état d’angoisse et pleurs  » qui nécessite un arrêt de travail à compter du 25 janvier 2016 imputable au service. Ainsi, l’ensemble des avis médicaux concordent sur le fait que Mme A…, à l’annonce, lors de l’entretien du 21 janvier 2016, de la suppression de son service de secouriste à l’infirmerie et à la suite de la remise le 25 janvier 2016 de son nouveau planning de service, a subi un choc réactionnel. Ces avis attestent également de l’absence d’antécédents psychiatriques. La circonstance que le changement de fonctions de Mme A… résulterait d’une réorganisation du service en raison de l’affectation d’une nouvelle infirmière dans l’établissement qui n’avait plus à être secondée par la requérante et qu’il ne peut pas être regardé comme une sanction disciplinaire déguisée est sans incidence sur l’imputabilité au service des conséquences psychiques qui ont pu en résulter, dès lors qu’il est établi que ces conséquences procèdent effectivement de cet évènement précisément déterminé et daté, lequel n’a pas été provoqué par une faute de l’intéressée. Dans ces conditions, l’accident du 21 janvier 2016 doit être regardé, contrairement à ce que soutient le département de l’Aude, comme imputable au service.

9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A… est fondée à demander l’annulation de l’arrêté du 2 août 2016 du président du conseil départemental de l’Aude refusant de reconnaître l’accident du 25 janvier 2016 comme imputable au service, ensemble la décision du 18 octobre 2016 rejetant son recours gracieux.

Sur les conclusions aux fins d’injonction :

10. Aux termes de l’article L. 911-1 du code de justice administrative :  » Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution « .

11. Le présent arrêt, eu égard au motif qui le fonde, implique nécessairement que le président du département de l’Aude prenne une décision reconnaissant l’imputabilité au service de l’accident du 25 janvier 2016 subi par Mme A… et en tire ensuite les conséquences qui s’y attachent, notamment en assurant la prise en charge de ses arrêts maladie à plein traitement depuis le 25 janvier 2016. Cette mesure devra intervenir dans un délai de deux mois à compter de la notification au département de l’Aude du présent arrêt.

Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge de Mme A…, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge du département de l’Aude la somme de 2 000 euros à verser à Mme A… au titre des frais qu’elle a exposés et non compris dans les dépens.

D É C I D E :
Article 1er : L’ordonnance n° 1605129 du 20 septembre 2017 du président de la 1ère chambre du tribunal administratif de Montpellier est annulée.
Article 2 : L’arrêté du 2 août 2016 du président du conseil départemental de l’Aude, ensemble la décision du 18 octobre 2016 rejetant le recours gracieux de Mme A…, sont annulés.
Article 3 : Il est enjoint au département de l’Aude, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, de prendre une décision reconnaissant l’imputabilité au service de l’accident du 25 janvier 2016 de Mme A… et d’en tirer les conséquences qui s’y attachent.
Article 4 : Le département de l’Aude versera la somme de 2 000 euros à Mme A… sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Les conclusions du département de l’Aude présentées en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées. 
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B… A…et au département de l’Aude.
Délibéré après l’audience du 27 novembre 2018, où siégeaient :

– Mme Helmlinger, présidente,
– Mme Simon, président-assesseur, 
– Mme Carassic, première conseillère. 

Lu en audience publique, le 11 décembre 2018. 
4
N° 17MA04374

Centre de préférences de confidentialité

Accessibilité