Arrêt n° 1039 du 8 juin 2016 (14-13.418) – Cour de cassation – Chambre sociale – ECLI:FR:CCASS:2016:SO01039
CONTRAT DE TRAVAIL, EXÉCUTION – HARCÈLEMENT MORAL – PREUVE
Rejet
Contrat de travail, exécution – Harcèlement moral – Preuve
Demandeur(s) : Mme Claudine X…
Défendeur(s) : Société Dentsply Ih, anciennement dénommée Astra Tech France
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Nîmes, 7 janvier 2014), rendu sur renvoi après cassation (Soc., 13 février 2013, n° 11-28.201), que Mme X…, engagée le 6 janvier 2004 en qualité de responsable de secteur par la société Astra Tech France, désormais dénommée société Dentsply Ih, et affectée dans la région Sud-Est, a été placée en arrêt de travail pour maladie à compter du 11 décembre 2008 et a été déclarée, à l’issue de la seconde visite médicale du 23 mars 2009, « apte à la reprise à condition de travailler sur un autre secteur » ; qu’elle a été licenciée le 21 avril 2009 ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la salariée fait grief à l’arrêt de la débouter de ses demandes tendant à voir dire qu’elle a été victime d’un harcèlement moral et à voir prononcer la nullité, ou à tout le moins, l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, et à voir condamner l’employeur à lui payer des sommes à titre d’indemnités, alors, selon le moyen :
1°/ qu’aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; que lorsque survient un litige relatif à l’existence d’un harcèlement, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a retenu que la salariée avait produit des éléments de nature à laisser présumer l’existence d’un harcèlement moral ; que pour débouter la salariée de ses demandes, la cour d’appel a néanmoins considéré que les éléments produits par la salariée n’étaient pas établis ; qu’en statuant ainsi, alors qu’il lui appartenait de rechercher une fois les faits laissant présumer le harcèlement établis, si, conformément à la loi, l’employeur pouvait justifier objectivement les décisions prises par des éléments étrangers à toute discrimination, la cour d’appel a fait peser la charge de la preuve sur la salariée, violant ainsi les articles 1315 du code civil et L. 1154-1 du code du travail ;
2°/ qu’au surplus, en considérant que les éléments produits par la salariée laissaient présumer l’existence d’un harcèlement et dans le même temps que ces éléments n’étaient pas établis, la cour d’appel a statué par des motifs contradictoires, violant ainsi les articles L. 1152-1 et L. 1154- 1 du code du travail ainsi que 455 du code de procédure civile ;
3°/ enfin que, lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d’apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral et, dans l’affirmative, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu’en l’espèce, la salariée prétendait avoir été victime d’un harcèlement moral ; que pour justifier sa demande, elle produisait un ensemble d’éléments ; que pour débouter la salariée, le conseil de prud’hommes a considéré que celle-ci ne fournissait aucun élément de fait de nature à justifier sa demande ; qu’en statuant ainsi, alors même qu’il lui appartenait de vérifier non seulement si les éléments produits par la salariée étaient établis mais encore si ces éléments pris dans leur ensemble n’étaient pas de nature à laisser présager l’existence d’un harcèlement moral, le conseil de prud’hommes a violé les articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail ;
Mais attendu qu’aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; qu’en vertu de l’article L. 1154-1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement ; qu’au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;
Attendu qu’il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail ; que, dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;
Attendu que, sous réserve d’exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et si l’employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement ;
Et attendu qu’après avoir exactement rappelé le mécanisme probatoire prévu par l’article L. 1154-1 du code du travail, la cour d’appel, qui sans se contredire, a souverainement retenu que la salariée établissait des faits permettant de présumer l’existence d’un harcèlement moral mais que l’employeur justifiait au soutien de ses décisions d’éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, a décidé, dans l’exercice des pouvoirs qu’elle tient de l’article L. 1154-1 du code du travail, qu’aucun harcèlement moral ne pouvait être retenu ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen, ci-après annexé :
Attendu que le premier moyen du pourvoi étant rejeté, le moyen est dépourvu d’objet ;
Sur le troisième moyen, ci-après annexé :
Attendu que sous le couvert de griefs non fondés de violation de la loi, de dénaturation et de manque de base légale, le moyen ne tend qu’à contester, d’une part l’appréciation souveraine par la cour d’appel de la portée d’un avis d’aptitude avec réserve, de sorte qu’étaient inapplicables les dispositions relatives au licenciement du salarié inapte, d’autre part l’exercice des pouvoirs que les juges du fond tiennent de l’article L. 1235-1 du code du travail ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Président : M. Frouin
Rapporteur : M. Rinuy, conseiller
Avocat général : M. Richard de la Tour
Avocat(s) : SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray ; SCP Le Bret-Desaché