jurisprudence

La déclaration de maladie professionnelle qui indique que le salarié a été exposé chez d’autres employeurs n’est pas suffisante.

ARRET

N°67
Société [5]
C/
A BCC
JR
COUR D’APPEL D’AMIENS
TARIFICATION
ARRET DU 08 JUILLET 2022
*************************************************************
N° RG 21/05772 – N° Portalis DBV4-V-B7F-IJMS

PARTIES EN CAUSE :

DEMANDEUR

Société [5] agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Salarié : M. [V] [Y]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me HAOUET substituant Me Xavier BONTOUX de la SELARL FAYAN-ROUX, BONTOUX ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON

ET :

DÉFENDEUR

CARSAT MIDI PYRENEES agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Mme [B] [T] dûment mandatée

DÉBATS :

A l’audience publique du 01 Avril 2022, devant Mme Jocelyne RUBANTEL, Président assisté de M. DONGNY et M. LANGLET, assesseurs, nommés par ordonnances rendues par Madame la Première Présidente de la Cour d’appel d’Amiens les 03 mars 2022, 07 mars 2022, 30 mars 2022 et 27 avril 2022.

Jocelyne RUBANTEL a avisé les parties que l’arrêt sera prononcé le 08 Juillet 2022 par mise à disposition au greffe de la copie dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Audrey VANHUSE

PRONONCÉ :

Le 08 Juillet 2022, l’arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Jocelyne RUBANTEL, Président et Blanche THARAUD, Greffier.

** *

DECISION

La société [5] est une entreprise spécialisée dans le secteur d’activité du commerce de gros de matériaux de construction.

M. [Aa], salarié de la société [5] en qualité de chaudronnier depuis le 4 septembre 2018 a, le 30 novembre 2020, déclaré une maladie professionnelle au titre d’une « tendinopathie de l’épaule droite », pathologie inscrite au tableau n°57 des maladies professionnelles, sur la base d’un certificat médical initial en date du 5 novembre 2020.

Par lettre du 5 juillet 2021, la caisse primaire d’assurance maladie (ci-après la CPAM) a pris en charge cette maladie au titre de la législation professionnelle. La date administrative de la maladie a été fixée au 11 septembre 2020.

Les incidences financières de la maladie professionnelle de M. [Aa] ont été inscrites au compte employeur de la société [5].

Par courrier du 3 septembre 2021, la société [5] a sollicité, auprès de la caisse d’assurance retraite et de la santé au travail (ci-après la CARSAT ou la caisse), l’inscription au compte spécial des conséquences financières de la maladie professionnelle déclarée le 30 novembre 2020 par M. [Y].

Par décision du 16 septembre 2021, la CARSAT a rejeté le recours de la société [5].

Par acte d’huissier de justice délivré le 26 novembre 2021, la société [5] a fait assigner la CARSAT des Midi-Pyrénées d’avoir à comparaître devant la cour d’appel d’Amiens à l’audience du 1er avril 2022.

Par conclusions visées par le greffe le 14 décembre 2021, la société [5] prie la Cour de :

– déclarer son recours recevable ;

– juger que M. [Y] a été exposé au risque successivement au sein de différentes entreprises sans qu’il soit possible de déterminer celle dans laquelle l’exposition au risque a provoqué la maladie ;

– juger que la maladie déclarée par M. [Y] doit être imputée au compte spécial prévu à cet effet.

Au soutien de ses demandes, la société [5] fait valoir que M. [Y] a été exposé au risque de sa maladie au sein de plusieurs entreprises pendant une longue période.

Elle ajoute que lorsqu’il a contracté sa maladie, le salarié ne travaillait que depuis 1 an et 7 mois chez elle alors qu’il a été exposé chez 12 précédents employeurs depuis 1992 au même poste comme cela ressort de sa déclaration de maladie professionnelle. La société demanderesse souligne que M. [Aa] a donc été exposé au risque près de 26 ans chez de précédents employeurs avant d’être son salarié.

La société [5] précise également que M. [Aa] a été placé en chômage partiel du 2 avril au 21 août 2020 en raison de la crise sanitaire liée au covid-19.

Par conclusions visées par le greffe le 28 mars 2022, la CARSAT prie la Cour de :

– constater que la société [5] n’apporte pas la preuve de l’exposition de M. [Y] au risque de sa maladie professionnelle du 11 septembre 2020 au sein d’autres entreprises ;
– dire et juger que les conditions d’application de l’article 2-4° de l’arrêté du 16 octobre 1995 ne sont pas remplies ;

Et, en conséquence, de :
– confirmer sa décision de maintenir sur le compte employeur de la société [5] les incidences financières de la maladie professionnelle du 11 septembre 2020 de M. [Y] ;
– rejeter le recours de la société [5].

Au soutien de ses prétentions, la CARSAT fait valoir que la référence à la déclaration de maladie professionnelle ne saurait suffire à apporter la preuve d’une quelconque exposition du salarié au risque au sein d’autres entreprises.

Elle indique que dans cette déclaration, le salarié se contente de reprendre son parcours professionnel au sein des différentes entreprises dans lesquelles il a travaillé ainsi que les postes qu’il a occupés en leur sein. Ainsi, elle argue que la seule mention des précédents emplois n’est pas de nature à apporter la preuve que M. [Aa] a été exposé au sein de ces emplois au risque de sa maladie.

La CARSAT précise que faire état des précédentes sociétés sans apporter d’éléments quant aux conditions de travail en leur sein ne saurait constituer la preuve que ce dernier a été effectivement exposé au risque de sa maladie chez elles.

Enfin, la CARSAT ajoute que la durée d’exposition au risque de M. [Y] au sein de la société [5] n’a aucune influence sur l’imputation de la maladie sur le compte employeur de la société.

SUR CE LA COUR,

Sur la recevabilité du recours
La Cour observe que le recours a été formé dans les délais et formes prévus par la loi.
Le recours est donc recevable.
Sur l’inscription au compte spécial

Aux termes des articles D.242-6-5 et D.242-6-7 du Code de la sécurité sociale fixant les règles de tarification des risques des accidents du travail et maladies professionnelles, il est prévu que les dépenses engagées par les caisses d’assurance maladie par suite de la prise en charge de maladies professionnelles constatées ou contractées dans des conditions fixées par un arrêté ministériel ne sont pas comprises dans la valeur du risque ou ne sont pas imputées au compte employeur mais inscrites à un compte spécial.

L’article 2, alinéa 4, de l’arrêté du 16 octobre 1995 dispose que « sont inscrits au compte spécial conformément aux dispositions de l’article D.246-6-5, les dépenses afférentes à des maladies professionnelles constatées ou contractées dans les conditions suivantes : (‘)

La victime de la maladie professionnelle a été exposée au risque successivement dans plusieurs établissements d’entreprises différentes sans qu’il soit possible de déterminer celle dans laquelle l’exposition au risque a provoqué la maladie ».

Les articles susvisés imposent à l’employeur de démontrer que le salarié a été exposé au risque chez les employeurs précédents sans qu’il y ait lieu de lui imposer de rapporter la preuve de la non exposition au risque de sa maladie dans son entreprise.

En effet, cette exposition au risque est présumée dans le cadre de la présente procédure dans la mesure où l’employeur, dès lors qu’il n’a pas contesté la prise en charge de la maladie au titre de la législation sur les risques professionnels devant le contentieux général, est considéré avoir exposé son salarié au risque de la maladie professionnelle au sein de l’entreprise.

Il ressort donc des articles ci-dessus cités deux conditions cumulatives pour que soit possible l’inscription au compte spécial :

– le salarié doit avoir été exposé au risque successivement dans plusieurs établissements d’entreprises différentes ;

– il est impossible de déterminer l’entreprise au sein de laquelle l’exposition au risque a provoqué la maladie.

Dans le cas d’une demande d’inscription au compte spécial, la charge de la preuve de la réunion de ces deux conditions incombe à l’employeur.

La société [5] demande à ce que les incidences financières de la maladie professionnelle déclarée le 30 novembre 2020 par M. [Y] soient inscrites au compte spécial en application des dispositions de l’article 2-4° de l’arrêté du 16 octobre 1995 précitées.

En l’espèce, le 5 juillet 2021, M. [Y] a été reconnu atteint d’une « tendinopathie de l’épaule droite », pathologie inscrite au tableau n°57 des maladies professionnelles et dont la date administrative a été fixée au 11 septembre 2020. La décision de prise en charge de la maladie a alors été notifiée à la société [5].

La société verse aux débats les pièces suivantes :

la déclaration de maladie professionnelle datée du 30 novembre 2020 (pièce n°1) ;

le certificat médical initial daté du 5 novembre 2020 (pièce n°2) ;

la notification de prise en charge par la CPAM du 5 juillet 2021 (pièce n°3)

le recours gracieux devant la CARSAT du 3 septembre 2021 (pièce n°4).

La Cour estime qu’à lui seul, le moyen tiré de l’exercice d’autres activités similaires chez un autre employeur ne saurait suffire. En l’espèce, la société verse aux débats la déclaration de maladie professionnelle du 30 novembre 2020, dont la date administrative a été fixée au 11 septembre 2020. Cette déclaration rapporte les dires du salarié concernant une exposition chez 12 précédents employeurs depuis 1992.

Cependant, les déclarations du salarié à travers ce document ne sont pas de nature à démontrer que chez les précédents employeurs de M. [Y], les conditions de travail auxquelles il était réellement soumis, étaient susceptibles de l’exposer au risque de sa maladie en cause.

La société soutient que la déclaration de maladie professionnelle fait apparaître qu’antérieurement à son expérience en son sein, le salarié a été exposé au risque de la maladie en cause dans des entreprises successives, sans qu’il soit possible de déterminer celle au service duquel la maladie a été contractée.

Or, les références au contenu de la déclaration de maladie professionnelle ne peuvent constituer une preuve de cette exposition alors qu’il s’agit d’éléments purement déclaratifs. En effet, ce document ne rapporte que les déclarations du salarié qui souhaite que son sinistre fasse l’objet d’une prise en charge par la CPAM.

La référence aux emplois antérieurs, retranscrits dans la déclaration de maladie professionnelle, n’établit aucunement une présomption d’exposition antérieure au risque de la maladie visée par le tableau.

En outre, la société [5] précise que, lorsque le salarié a contracté sa maladie, celui-ci ne travaillait que depuis 1 an et 7 mois chez elle et que pendant cette période, le salarié s’est retrouvé au chômage partiel d’avril à août 2020 en raison de la crise sanitaire liée au covid-19.

Toutefois, la durée d’exposition du salarié au risque de sa maladie au sein de la société [5] n’a aucune influence sur l’imputation de la maladie sur son compte employeur.

La Cour rappelle que, si la durée d’exposition au risque d’une maladie référencée dans un tableau de maladie professionnelle est une condition nécessaire à sa prise en charge par la CPAM, cela n’est pas le cas s’agissant de l’imputation des conséquences financières d’une telle maladie au compte employeur.

Il est en revanche suffisamment établi que M. [Aa] a été exposé au risque de sa maladie au sein de la société [5] à compter du 4 septembre 2018. La Cour observe que le caractère professionnel de la maladie n’a pas été contesté devant les juridictions du contentieux général par la société demanderesse.

La Cour constate qu’aucune des pièces versées aux débats par la société [5] ne permet de constater une exposition antérieure du salarié chez d’autres employeurs au risque de sa maladie.

Sans éléments supplémentaires qui permettraient de justifier des conditions réelles de travail de M. [Y] chez ses précédents employeurs, la société [5] échoue donc à rapporter la preuve qui lui incombe de la réunion des conditions d’application de l’article 2, paragraphe 4, de l’arrêté du 16 octobre 1996 relatif à l’inscription des conséquences d’une maladie professionnelle au compte spécial.

Dès lors, il convient de la débouter de l’ensemble de ses demandes et de maintenir les dépenses relatives à la maladie professionnelle sur le compte employeur de la société.

Sur les dépens

Conformément aux dispositions de l’article 696 du Code de procédure civile la société [5] sera condamnée aux entiers dépens de l’instance.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par arrêt mis à disposition au greffe, après débats publics, contradictoire, en premier et dernier ressort ;

DECLARE recevable mais mal fondé le recours exercé par la société [5] à l’encontre de la décision de la CARSAT Midi-Pyrénées ;

DIT que les conditions de l’article 2-4° de l’arrêté du 16 octobre 1995 ne sont pas remplies ;

CONFIRME la décision de la CARSAT Midi-Pyrénées de maintenir sur le compte employeur de la société [5] les incidences financières de la maladie professionnelle du 11 septembre 2020 de M. [Y] ;

DEBOUTE en conséquence la société [5] de l’ensemble de ses demandes ;

CONDAMNE la société [5] aux entiers dépens de l’instance.

Le Greffier,Le Président,

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