jurisprudence

Une ICP doit être réalisée pour permettre l’établissement d’un plan de prévention.

Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 4 avril 2023, 21-81.742, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :

N° J 21-81.742 F-D
N° 00420
ECF
4 AVRIL 2023
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 4 AVRIL 2023

Les sociétés [4] et [1] ont formé des pourvois contre l’arrêt de la cour d’appel de Rouen, chambre correctionnelle, en date du 27 janvier 2021, qui a condamné, la première, pour infraction à la réglementation sur l’hygiène et la sécurité des travailleurs, à 5 000 euros d’amende, la seconde, pour homicide involontaire et infraction à la réglementation sur l’hygiène et la sécurité des travailleurs, à des amendes de 150 000 euros et 5 000 euros, et a prononcé sur les intérêts civils.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Un mémoire, commun aux demanderesses, a été produit.

Sur le rapport de M. Leblanc, conseiller référendaire, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat des sociétés [4] et [1], et les conclusions de M. Lemoine, avocat général, après débats en l’audience publique du 7 mars 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Leblanc, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. [X] [U], salarié de la société [1] en charge de la maintenance d’outillage portuaire dont celui de la société [4], a fait une chute mortelle depuis un portique porte-conteneur appartenant à cette dernière société, sur un chantier auquel participaient les sociétés [2] et [5].

3. Les deux sociétés premières nommées ont été poursuivies, en leurs qualités respectives d’entreprise extérieure et d’entreprise utilisatrice, pour exécution de travaux sans inspection commune préalable et, s’agissant de la société [1], pour homicide involontaire dans le cadre du travail par personne morale.

4. Les juges du premier degré ont relaxé cette dernière du chef d’homicide involontaire et condamné les deux sociétés pour le premier délit susvisé.

5. Recevant la constitution de partie civile de Mmes [R] [L], [A] [Y], épouse [U], [P] [U], épouse [H], [I] [D], ès qualités de représentante légale de [G] [U] et M. [F] [U], respectivement la compagne au moment du décès, les mère, soeur, fille et frère de la victime de l’accident, le tribunal les a déboutés de l’ensemble de leurs demandes du fait de la relaxe.

6. Les deux sociétés, le ministère public et certaines parties civiles ont relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses deuxième, septième et huitième branches et sur le deuxième moyen, pris en ses neuvième et dixième branches

7. Ils ne sont pas de nature à permettre l’admission du pourvoi au sens de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur les premier et deuxième moyens, pris en leurs autres branches

Enoncé des moyens

8. Le premier moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a déclaré les sociétés [1] (anciennement [6]) et [4] coupables de non-respect des dispositions légales ou réglementaires en matière de sécurité au travail, pour absence d’inspection commune préalable à l’intervention d’entreprises extérieures auprès d’une entreprise utilisatrice et les a condamnées pénalement et civilement, alors :

« 1°/ qu’en cas d’intervention d’entreprises extérieures auprès d’une entreprise utilisatrice, une visite préalable doit être réalisée aux fins d’établissement d’un plan de prévention commun ; que, pour retenir la méconnaissance des dispositions en matière de sécurité au travail, la cour d’appel a relevé qu’un plan de prévention avait été établi s’agissant de l’intervention de la société [2] sur le site de la société [4] le matin de l’opération, plan qui n’aurait pas été précédé d’une inspection préalable, M. [M] et M. [T], intervenus pour la société [2], entreprise extérieure, ayant affirmé que leur inspection ne portait pas sur la sécurité ; que dès lors qu’elle constatait qu’un plan de prévention commun avait été signé pour la société [2] par M. [M] et qu’il avait été précédé de deux réunions dont la visite organisée avec M. [M] par M. [U], salarié de la société [6], chargé de la maintenance des portiques du site de [Localité 3] exploité par [4], filiale de [6], la cour d’appel qui constatait ainsi que M. [M] avait procédé à la visite préalable à l’intervention de la société [2], au point de signer le plan de prévention ensuite élaboré, n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en violation des articles L. 4741-1, L. 4511-1, R. 4512-2 et R. 4512-5 du code du travail ;

3°/ qu’en estimant qu’il n’était pas démontré que la visite commune aurait permis d’établir un plan de prévention adapté, dès lors que le mode opératoire établi par M. [T] n’avait pas été transmis à M. [U], quand il appartenait aux seules parties poursuivantes d’apporter la preuve de l’absence d’inspection préalable en vue d’établir les règles de sécurité qu’imposait éventuellement le risque d’interférence d’activités, la cour d’appel qui a inversé la charge de la preuve a violé l’article préliminaire du code de procédure pénale et 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme ;

4°/ qu’en cas d’intervention d’une entreprise extérieure, les employeurs se communiquent toutes informations nécessaires à la prévention des risques, notamment la description des travaux à accomplir, des matériels utilisés et des modes opératoires dès lors qu’ils ont une incidence sur la santé et la sécurité ; qu’en relevant que M. [T] n’aurait pas transmis le mode opératoire à M. [U] à l’occasion de la visite préalable, M. [M] affirmant en avoir en revanche disposé, la cour d’appel qui n’a pas recherché, si les représentants de la société [2] avaient agi de bonne foi à l’égard de M. [U], auquel devait être transmis le mode opératoire en vue de l’élaboration du plan de prévention, a encore privé sa décision de base légale au regard des articles L. 4741-1, L. 4511-1, R. 4512-2 et R. 4512-5 du code du travail et 593 du code de procédure pénale ;

5°/ que l’inspection préalable est destinée à déterminer les risques liés à l’interférence des activités des entreprises utilisatrices et extérieures, au vu du mode de réalisation des prestations respectives des entreprises ; qu’en ne s’expliquant pas sur le mode d’intervention dont avait connaissance M. [U], lors de la visite de M. [M] et à tout le moins lors de la signature par ce dernier du plan de prévention que lui remettait M. [U] et en quoi il était de nature à créer des dangers spécifiques, quand elle relevait que le changement du câble devait se faire selon le mode prévu par la notice constructeur comme l’expliquait M. [M], avant que la méthode soit modifiée prétendument, selon ce dernier, en l’absence de tambour de manoeuvre et quand elle constatait pourtant que le mode opératoire préconisé par le constructeur avait été utilisé ultérieurement lors du changement du second câble du portique, sans qu’il soit fait état d’une difficulté liée à l’absence de tambour de manoeuvre, méthode qui n’apparaissait pas celle finalement mise en oeuvre par la société [2], la cour d’appel n’a pas justifié sa décision en violation des articles L. 4741-1, L. 4511-1, R. 4512-2 et R. 4512-5 du code du travail ;

6°/ qu’en ne s’expliquant pas sur les conclusions des sociétés [6] et [4] qui soutenaient que l’inspection commune avait été admise dans un premier temps par M. [M] qui prétendait disposer du mode opératoire établi par M. [T], à l’occasion de la passation du contrat, avant que M. [M] ne se ravise, ce qui ne permettait pas de savoir si M. [M] avait participé de bonne foi à la visite préalable, et avait donné toutes les informations nécessaires à M. [U] afin que celui-ci procède à l’élaboration du plan de prévention, les deux sociétés [4] et [6] (devenue [1]) contestant le fait que M. [U] ait accepté un mode opératoire impliquant la dépose de caillebotis, la cour d’appel a privé sa décision de base légale, au regard des articles L. 4741-1, L. 4511-1, R. 4512-2 et R. 4512-5 du code du travail, 459 et 593 du code de procédure pénale. »

9. Le deuxième moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a déclaré la société [1] (anciennement [6]) coupable d’homicide involontaire et l’a condamnée pénalement et civilement, alors :

« 1°/ que la faute de la victime, cause exclusive de son dommage, exclut la responsabilité de son employeur ; que, pour estimer que la [6] avait commis une faute en n’organisant pas une inspection commune, refusant de retenir toute faute du salarié, la cour d’appel a considéré que M. [U] ne disposait pas d’une délégation de pouvoir valable lui permettant d’établir le plan de prévention de la sécurité au nom de son employeur, dès lors qu’ayant reçu ses pouvoirs d’une personne ayant bénéficié d’une délégation écrite, seule une délégation écrite accordée aurait constitué une subdélégation de pouvoirs valable, par application du parallélisme des formes ; qu’aucune disposition n’imposant de forme particulière aux délégations de pouvoirs ou subdélégations de pouvoirs, la cour d’appel a méconnu les articles 221-6 du code pénal et L. 4511-1 et R. 4511-1 et suivants du code du travail ;

2°/ que pour exclure toute délégation de pouvoir en matière de sécurité, la cour d’appel a également estimé que M. [U] agissait seulement dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail portant sur la maintenance des portiques de manutention ; que dès lors qu’elle constatait que M. [U] avait non seulement une mission de maintenance, mais pouvait passer les contrats relatifs à cette maintenance, qu’il avait lui-même signé le plan de prévention concernant l’opération de changement du câble de relevage et était le seul donneur d’ordre sur ce chantier, la cour d’appel qui a refusé de tirer les conséquences de ses propres constatations établissant que M. [U] avait accepté une délégation de pouvoirs pour assurer la sécurité pour l’opération de changement du câble du portique, a violé les articles 221-6 du code pénal et L. 4511-1 et R. 4511-1 et R. 4511-9 et suivants du code du travail et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ que pour estimer que M. [U] ne bénéficiait d’aucune délégation de pouvoirs en matière de sécurité valable, la cour d’appel a en outre estimé qu’il ne disposait pas de la compétence, faute d’avoir bénéficié d’une formation à cette fin ; que dès lors qu’elle relevait que M. [U] était en charge de la maintenance des portiques de plusieurs sites depuis 2011 pour [6], la cour d’appel qui n’a pas recherché si son expérience ne suffisait pas pour lui assurer la compétence suffisante en matière de sécurité, a privé sa décision de base légale au regard des articles 221-6 du code pénal et L. 4511-1 et R. 4511-1 et suivants du code du travail et 593 du code de procédure pénale ;

4°/ que pour estimer que la délégation de pouvoir de M. [U] n’était pas valable, la cour d’appel a enfin considéré qu’il ne disposait pas des moyens nécessaires à cette fin, les dépenses engagées devant être avalisées par M. [B], son supérieur hiérarchique ; qu’en ne constatant pas que des dépenses envisagées par M. [U] avaient été refusées dans des conditions impliquant non seulement un contrôle de la finalité des dépenses conforme à l’objet social de la société, mais également une immixtion dans la mission qui lui était confiée en matière de sécurité, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 221-6 du code pénal et L. 4511-1 et R. 4511-1 et suivants du code du travail ;

5°/ qu’en cas d’intervention d’entreprises extérieures auprès d’une entreprise utilisatrice, une visite préalable doit être réalisée aux fins d’établissement d’un plan de prévention commun ; que, pour retenir une faute à l’encontre de la société [1] (anciennement [6]) constitutive du délit d’homicide involontaire, la cour d’appel a relevé qu’un plan de prévention avait été établi s’agissant de l’intervention de la société [2] sur le site de la société [4] le matin de l’opération, plan qui n’aurait pas été précédé d’une inspection préalable, M. [M] et M. [T], intervenus pour la société [2], entreprise extérieure, ayant affirmé que leur inspection ne portait pas sur la sécurité ; que dès lors qu’elle constatait qu’un plan de prévention commun avait été signé pour la société [2] par M. [M] et qu’il avait été précédé de deux réunions dont la visite organisée avec M. [M] par M. [U], salarié de la société [6], chargé de la maintenance des portiques du site de [Localité 3] exploité par [4], filiale de [6], la cour d’appel qui constatait ainsi que M. [M] avait procédé à la visite préalable à l’intervention de la société [2], au point de signer le plan de prévention ensuite élaboré, ce qui excluait toute faute de la société [1] en rapport avec la réalisation de l’inspection commune, n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en violation des articles 221-6 du code pénal, L. 4511-1, R. 4512-2 et R. 4512-5 du code du travail ;

6°/ qu’en estimant qu’il n’était pas démontré que la visite commune aurait permis d’établir un plan de prévention adapté, dès lors que le mode opératoire établi par M. [T] n’avait pas été transmis à M. [U], quand il appartenait aux seules parties poursuivantes d’apporter la preuve de l’absence d’inspection préalable en vue d’établir les règles de sécurité qu’imposait éventuellement le risque d’interférence d’activités, la cour d’appel qui a inversé la charge de la preuve a violé les articles préliminaire du code de procédure pénale et 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme ;

7°/ qu’en cas d’intervention d’une entreprise extérieure, les employeurs se communiquent toutes informations nécessaires à la prévention des risques, notamment la description des travaux à accomplir, des matériels utilisés et des modes opératoires dès lors qu’ils ont une incidence sur la santé et la sécurité ; qu’en relevant que M. [T] n’aurait pas transmis le mode opératoire à M. [U] à l’occasion de la visite préalable, M. [M] affirmant en avoir en revanche disposé, la cour d’appel qui n’a pas recherché, si les représentants de la société [2] avaient agi de bonne foi à l’égard de M. [U], auquel devait être transmis le mode opératoire en vue de l’élaboration du plan de prévention, et ainsi nécessairement à l’égard de la société [1], a encore privé sa décision de base légale au regard des articles 221-6 du code pénal, L. 4511-1, R. 4512-2 et R. 4512-5 du code du travail et 593 du code de procédure pénale ;

8°/ que l’inspection préalable est destinée à déterminer les risques liés à l’interférence des activités des entreprises utilisatrices et extérieures, au vu du mode de réalisation des prestations respectives des entreprises ; qu’en ne s’expliquant pas sur le mode d’intervention dont avait connaissance M. [U], lors de la visite de M. [M] et à tout le moins lors de la signature par ce dernier du plan de prévention que lui remettait M. [U] et en quoi il était de nature à créer des dangers spécifiques, quand elle relevait que le changement du câble devait se faire selon le mode prévu par la notice constructeur comme l’expliquait M. [M], avant que la méthode soit modifiée prétendument, selon ce dernier, en l’absence de tambour de manoeuvre et quand elle constatait pourtant que le mode opératoire préconisé par le constructeur avait été utilisé ultérieurement lors du changement du second câble du portique, sans qu’il soit fait état d’une difficulté liée à l’absence de tambour de manoeuvre, méthode qui n’apparaissait pas celle finalement mise en oeuvre par la société [2], la cour d’appel n’a pas justifié sa décision en violation des articles 221-6 du code pénal, L. 4511-1, R. 4512-2 et R. 4512-5 du code du travail. »

Réponse de la Cour

10. Les moyens sont réunis.

11. Pour dire établis les délits d’exécution de travaux par entreprise utilisatrice sans inspection commune préalable et d’homicide involontaire par personne morale, l’arrêt attaqué retient, d’une part, que l’opération de maintenance sur le câble de relevage était nouvelle tant pour [X] [U] que pour l’entreprise dès lors qu’il s’agissait du premier remplacement depuis la mise en service du portique et, d’autre part, que la visite réalisée en amont de l’intervention sur celui-ci avec M. [M], salarié de la société [2], ne pouvait être considérée comme une inspection préalable dans la mesure où cette visite n’avait que pour objectif d’examiner le matériel nécessaire à l’opération dans le but d’établir une proposition commerciale de contrat de maintenance et non d’examiner les précautions de sécurité exigées par la réglementation fixée par le code du travail.

12. Les juges retiennent ainsi les déclarations de M. [M] précisant qu’il est venu « juste pour l’outillage » lors de la visite, ce qui a été confirmé par l’audition de M. [T], responsable de la société [2], lequel avait indiqué que le mode opératoire établi par lui n’était qu’un document type ne prenant en compte ni les spécificités du portique n° 1001 ni la prestation à réaliser et ce, alors qu’il n’avait aucune compétence spécifique dans le domaine de la sécurité.

13. Ils ajoutent qu’il n’est pas démontré que cette visite aurait permis d’aborder les questions de sécurité liées à des interventions conjointes sur le site et que le mode opératoire rédigé par M. [T] n’a en tout état de cause pas été transmis à [X] [U] ni aux salariés des autres sociétés intervenantes.

14. Ils en déduisent, d’une part, qu’il est établi qu’aucune communication réciproque entre les sociétés ne s’est effectuée préalablement à l’opération de maintenance sur ces risques et dangers, le plan de prévention réalisé, non communiqué aux salariés des sociétés [2] et [5], s’avérant à l’examen très superficiel, exempt d’exhaustivité et d’efficience sur l’appréciation des dangers dans la mesure où aucune visite préalable dans cette perspective n’a été réalisée et ne reflétant pas l’individualisation nécessaire à ce type d’opérations.

15. Ils relèvent, d’autre part, qu’aucun autre élément allégué ne permet d’envisager que l’obligation d’inspection préalable spécifique du site a été remplie puisqu’aucune analyse commune entre les différents intervenants n’a été accomplie, qu’un responsable d’activité portuaire de la société [2] a admis qu’aucune trace écrite de l’inspection préalable n’avait été réalisée et que les prescriptions des dispositions des articles R. 4512-2 et suivants du code du travail n’ont pas été suivies d’effet notamment sur la matérialisation des zones de danger et leur inviolabilité, la description des travaux à accomplir, des matériels à utiliser et le mode opératoire de l’intervention.

16. Enfin, les juges retiennent que [X] [U] n’était pas titulaire d’une délégation de pouvoir écrite de la part de son employeur et n’apparaissait pas, en l’état des éléments fournis par ce dernier, investi des compétences techniques et juridiques et des moyens nécessaires à l’exercice d’une mission de garantie de la sécurité et des moyens nécessaires pour veiller à l’observation des règles en vigueur en la matière.

17. Ils soulignent ainsi que la mention figurant en annexe de son contrat de travail est trop incertaine pour pouvoir être considérée comme une telle délégation alors qu’elle n’est pas précise quant à son domaine et sa portée, que si le salarié a pu veiller au respect des règles de sécurité, cette seule affirmation ne témoigne pas qu’il disposait des compétences pour ce faire, comme cela résulte de la tenue inappropriée aux conditions de travail qu’il portait pour l’intervention et des choix techniques inappropriés faits également pour le remplacement du câble. Les juges ajoutent qu’il est également établi par les éléments du dossier, d’une part, que l’intéressé n’avait suivi aucune formation à ce titre depuis son embauche et, d’autre part, que les autorisations d’engagement de dépenses étaient validées par le directeur du site, lui-même titulaire d’une délégation de pouvoir.

18. En l’état de ces seules énonciations, relevant de son appréciation souveraine quant à l’inexistence d’une délégation de pouvoirs valide à la victime, la cour d’appel, qui n’avait pas à suivre les sociétés prévenues dans le détail de leur argumentation et qui, en rappelant qu’il appartenait aux sociétés en cause de démontrer qu’elles avaient satisfait à leur obligation réglementaire de réaliser une inspection commune préalable aux travaux engagés, n’a pas inversé la charge de la preuve, a justifié sa décision.

19. Dès lors, les moyens doivent être écartés.

Sur le cinquième moyen

Enoncé du moyen

20. Le moyen, critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a accordé à Mmes [D] et [U] la somme de 800 euros chacune au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale, alors « que seules les parties civiles peuvent prétendre à la réparation des frais irrépétibles ; qu’en condamnant la société [1] à rembourser les frais irrépétibles de Mmes [D] et [U], après avoir pourtant constaté qu’elles étaient irrecevables en leur constitution de partie civile, pour n’avoir pas interjeté appel du jugement de relaxe les ayant par conséquent déboutées de leurs demandes, la cour d’appel a violé l’article 475-1 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

21. Les énonciations de l’arrêt établissent que la cour d’appel, qui a déclaré à tort Mmes [D] et [U] irrecevables en leur constitution de partie civile, a pris en considération leur qualité non contestée d’intimée pour leur allouer une indemnité au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale.

22. Dès lors, le moyen ne peut qu’être écarté.

Mais sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

23. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a condamné la société [1] à payer une amende de 150 000 euros, alors « que l’amende doit être fixée en fonction des ressources et des charges de la personne déclarée coupable ; qu’en condamnant la société GIE [1] à payer une amende de 150 000 euros au vu des rémunérations versées aux dirigeants, sans avoir cherché à connaître les ressources de la société [1] auprès de son représentant présent à l’audience, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 132-1 et 132-20 du code pénal et 485 et 485-1 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 132-1 et 132-20, alinéa 2, du code pénal :

24. Selon le premier de ces textes, en matière correctionnelle, toute peine doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle. Ces exigences s’imposent en ce qui concerne les peines prononcées à l’encontre tant des personnes physiques que des personnes morales.

25. Selon le second de ces textes, le juge qui prononce une amende doit motiver sa décision en tenant compte des ressources et des charges du prévenu.

26. Pour justifier la peine d’amende prononcée à l’égard de la société [1] en répression de l’homicide involontaire, l’arrêt attaqué énonce que cette société n’a pas fourni d’élément d’appréciation de ses ressources, seules les rémunérations des dirigeants figurant au dossier témoignant de sa santé financière, et relève que la gravité de la faute et les conséquences de celle-ci, qui ont engendré un décès, justifient du prononcé d’une peine d’amende d’un montant de 150 000 euros.

27. En se déterminant ainsi, en s’appuyant sur les rémunérations des dirigeants de la société, inopérants, et sans mieux s’expliquer sur les ressources et les charges de la société qu’elle devait prendre en considération pour fonder sa décision et qu’elle pouvait solliciter de son représentant, présent à l’audience, la cour d’appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.

28. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Et sur le quatrième moyen

Enoncé du moyen

29. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a condamné la société [1] à indemniser Mmes [L] et [Y], alors :

« 1°/ que l’article L. 451-1 du code de la sécurité sociale prohibe l’exercice conformément au droit commun de toute action en réparation d’un accident du travail, par les ayants droit de la victime d’un accident de travail, énumérés aux articles L. 434-7 à L. 434-14 du même code ; qu’en acceptant d’indemniser la compagne de M. [U], Mme [L], laquelle peut prétendre à une rente viagère, en application de l’article L. 434-8 du code de la sécurité sociale, la cour d’appel a excédé sa compétence en violation des articles L. 434-8 et L. 451-1 du code de la sécurité sociale ;

2°/ qu’en n’expliquant en quoi la mère de la victime, Mme [Y], à laquelle elle accordait l’indemnisation, ne pouvait prétendre à la rente de la sécurité sociale dans les conditions prévues par l’article L. 434-13 du code de la sécurité sociale, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article précité. »

Réponse de la Cour

Vu l’article 451-1 du code de la sécurité sociale :

30. Selon ce texte, aucune action en réparation du préjudice causé par un accident du travail ne peut, en dehors des cas qu’il prévoit, être exercée conformément au droit commun, par la victime ou ses ayants droit contre l’employeur et ses préposés.

31. En allouant des sommes en réparation du préjudice de Mmes [L] et [Y], la cour d’appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.

32. En effet, d’une part, la juridiction répressive n’a compétence pour se prononcer sur la responsabilité civile de l’entreprise employant le salarié victime qu’à l’égard des personnes qui n’ont pas la qualité d’ayants droit de cette dernière, au sens qui lui est donné par les dispositions des articles L. 434-6 à L. 434-12 du code de la sécurité sociale alors qu’il était mentionné par Mme [L], compagne de la victime, qu’elle avait été admise au bénéfice d’une rente accident du travail.

33. D’autre part, les juges n’ont pas recherché, comme cela leur était demandé, s’agissant de Mme [Y], mère de la victime, s’il était exclu qu’elle ait pu percevoir une telle rente en raison de l’accident, susceptible de lui conférer la qualité d’ayant droit au sens précité.

34. La cassation est ainsi de nouveau encourue.

Portée et conséquences de la cassation

35. La cassation à intervenir ne concerne que les peines prononcées contre la société [1] et, hormis leur constitution, les dispositions relatives aux intérêts civils prononcées pour les seules Mmes [A] [Y] et [R] [L]. Les autres dispositions seront donc maintenues.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Rouen en date du 27 janvier 2021, mais en ses seules dispositions pénales relatives aux peines prononcées contre la société [1] et, en ses seules dispositions civiles déclarant la société [1] responsable du préjudice de Mmes [A] [Y] et [R] [L] et leur allouant à chacune la somme de 25 000 euros, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu’il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Caen, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Rouen et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du quatre avril deux mille vingt-trois.ECLI:FR:CCASS:2023:CR00420

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